SNL affiche Avatar et sa typo Papyrus

Dans un sketch du programme Saturday Night Live, l’émission de divertissement New-Yorkaise du samedi soir dirigée par Lorne Michaels depuis 1975, Ryan Gosling revient sur un épisode jugé douloureux du graphisme au cinéma. Il s’agit du titre du film Avatar (2009, 2h42, James Cameron), un simple mot qui fait office de marque sur les affiches et toutes les déclinaisons graphiques en merchandising. Court et impactant, il fait la blague, comme on dit dans le secteur, le film ayant rencontré un succès phénoménal avec une communication adéquate, et surtout des effets spéciaux à couper le souffle, personne n’a vraiment fait attention à ce titre, finalement. Un méfait impardonnable pour Steven, incarné par Ryan Gosling. Une séquece inspirée devenue culte.


Immersion dans le travail de graphiste

La police de caractère est généralement une base pour orienter le travail du graphiste, qui teste ensuite des variations, des enrichissements ou des effets afin de proposer quelque chose d’original. Mais parfois, le mieux est l’ennemi du bien, et le premier jet est le bon. Pas la peine de réinventer la roue.

Dans le cas d’Avatar, le travail minimaliste du graphiste scandalise Steven, qui ne comprend pas comment un génie créatif comme James Cameron a pu se contenter, pour présenter au monde son œuvre la plus aboutie, d’une typo standard, qu’on trouve dans le menu très réduit de la plupart des applications de traitement de texte grand public.

Une blague de geek, qui parle en priorité aux créatifs de la pub et de la communication, dont c’est le métier… un métier plutôt méconnu.

Le titre au cinéma

Bon nombre de titres de films sont composés avec une typo simple, courante, avec à peine un petit effet ou une astuce pour donner une impression d’originalité. Mais le gros du travail graphique est souvent ailleurs – dans le traitement général de l’affiche, les couleurs, l’ambiance, les personnages.

C’est le cas du film Alien (1979, 1h56, Ridley Scott), les lettres du titre étant extrêmement espacées (parce qu’on est dans l’espace, probablement, ce serait donc un choix thématique ou une idée de la chef de projet – rajoute des espaces, on est dans l’espace, quoi, il faut que ce soit aéré, déjà que le film est anxiogène…). La police de caractère est pourtant des plus communes, puisqu’il s’agit de l’Arial (dans sa version bold). Mais avec un affichage par morceaux, ça fonctionne parfaitement à l’écran.

Et à l’évidence, on retient davantage d’Alien ses ambiances anxiogènes, son suspens haletant, les designs monumentaux et très détaillés de Giger que la typo du titre de l’affiche (ce qui n’empêche pas encore la chef de projet en question, à ce jour, d’utiliser ce succès planétaire pour appuyer un point de vue – souviens-toi avec Alien, j’avais pas raison? Alors… étroitise-moi cette typo, chouchou*).

*Certains noms ont été modifiés pour respecter l’anonymat des personnes concernées.

Une typo commune…

Disponible par défaut dans certains logiciels de traitement de texte ou de PAO comme Microsoft Word ou Adobe Illustrator, pour donner un minimum de variété aux travaux de tout débutant, ajouter du style à vos courriers, on ne s’attend pas vraiment à ce qu’elle séduise un créateur exigeant comme James Cameron.

Bien entendu, la typo elle-même n’est pas en cause dans le sketch, mais le fait qu’un film aussi gigantesque et réputé pour son travail graphique et conceptuel avant-garde soit représenté par un logo réalisable en quelques clics au moyen d’une police de caractère à la portée de quiconque utilisant un ordinateur personnel. Une typo rigolotte pour le quidam, mais qui serait selon certaines sources l’une des plus détestées des graphistes professionnels.

Donc, a priori, pas un travail de pro… et même un scandale pour certains.

…défendue par son créateur

Suite au succès du sketch, le créateur de la typo lui-même, Chris Costello a fini par réagir et défendre sa création (datant de 1982), dont la beauté et l’ergonomie ne sont toutefois pas en question. Mais cela a pu émouvoir dans la communauté graphique de savoir que le créateur d’une typo souvent mise au ban des créations est encore parmi nous. Et cela a peut-être permis de faire prendre conscience au grand public qu’une typo a bel et bien un créateur, mais également un prix. Souvent offerte avec les logiciels qui accompagnent l’achat d’un ordinateur personnel, déjà incluse dans les stations de travail au bureau, ces éléments que l’on utilise tous les jours sans même s’en apercevoir font vivre des gens (une typo cédée pour 750 livres à la société Letraset, apparue dans son catalogue en 1984 et qui rapporterait à son créateur de maigres royalties, ayant été revendue par la suite à Microsoft et Apple, intégrée à Mac OS, utilisée sur tous les ordinateurs de la planète depuis 2000). Selon une estimation de Fast Company, si le créateur avait reçu ne serait-ce qu’un dixième de penny pour chaque exemplaire de sa typo comprise avec Microsoft Office, il serait millionnaire (source: The Book Design Blog).

Et accrochez-vous, il se trouve que la Papyrus est une excellente typo, pour de nombreuses raisons. Elle a fait l’objet d’une étude complète, sur le blog Design for Hackers et dans le livre In defense of Papyrus, de David Kadavy.

Un sketch phare pour lancer la saison

Proposé en ouverture de la 43ème saison de SNL (2017), tourné en une nuit, le sketch se distingue par une grande qualité de réalisation, une merveille de concision (2 minutes 55), avec une implication particulière de son acteur principal invité, Ryan Gosling, qui a beaucoup aimé le script et aurait tenu à rendre la meilleure performance possible, ainsi que des seconds rôles également très justes. Un sketch écrit par Julio Torres et réalisé par Dave McCary.

Un sketch baptisé simplement… “Papyrus”…

Épilogue

Contrairement à ce qui est suggéré dans le sketch, le logo original du premier film ne sera plus utilisé pour les suites d’Avatar. La typo Papyrus serait ainsi abandonnée au profit d’un nouveau logo. On ne sait pas si c’est le résultat du buzz provoqué par le sketch de SNL ou si c’était déjà prévu dans le cadre de la production des nouveaux films. Après tout, un nouveau logo permet d’enclencher un nouveau cycle de vente de merchandising, il est donc nécessaire et lucratif de changer ce genre de détail à l’occasion de nouvelles sorties au cinéma. Les producteurs ont peut-être aussi voulu éviter que la campagne de promotion de leurs très chers futurs chefs-d’œuvre ne soit perturbée par un nouveau sketch de SNL, avec un Ryan Gosling encore plus chamboulé.

De là à ce que les fans du premier film s’insurgent contre cette initiative en rupture avec un film qu’ils ont particulièrement apprécié, rendant obsolètes tee-shirts et casquettes peut-être collector, voire objets de culte, au grand dam des graphistes, il n’y a qu’un pas…


Sources à consulter pour plus de détails

https://thebookdesignblog.com/design-articles/papyrus-font-history

https://www.fastcompany.com/3055865/meet-the-man-who-created-papyrus-the-worlds-other-most-hated-font

OncleGil