Reptile, le polar nerveux de Netflix

Ce n’est pas son premier rodéo, mais Benicio Del Toro étonne encore par sa présence dans un polar inattendu. Bien connu des services, l’acteur reconnu mondialement s’offre une escapade palpitante dans la campagne américaine avec Alicia Silverstone et Justin Timberlake, un film déroutant et bien ficelé par Grant Singer (dont c’est le premier long-métrage après avoir réalisé des clips pour Daft Punk et The Weekend), co-écrit avec Benicio Del Toro et Benjamin Brewer, produit par Netflix. Disponible sur Netflix depuis le 29 septembre 2023.


Benicio Del Toro, l’homme bien tranquille qu’il ne fallait pas déranger

Une vie bien tranquille

Tom Nichols est un agent de police bien intégré socialement, populaire auprès de ses collègues, qui fait bien son travail et qui est attendu à la maison par sa chère et tendre, Judy (Alicia Silverstone). Cette structure autour de lui l’encourage à ne pas faire de vagues, à se fondre dans le collectif, à suivre les ordres de ses chefs en qui il a une confiance absolue. Quand un affaire ne sort pas trop de l’ordinaire, il y a un protocole, des évidences, des preuves, une marche à suivre, on va au bout du dossier et on le referme pour passer à la suite. Le temps efface toutes les traces. Le quotidien d’un commissariat dans la campagne américaine suit une certaine routine. Jusqu’au jour où un crime dépasse les bornes et lève le voile sur une affaire peut-être plus compliquée. Professionnel et pointilleux, Tom Nichols examine les preuves, se pose les bonnes questions, mais ne parvient pas à mettre le doigt sur ce qui cloche. L’enquête se poursuit mais peine à aboutir, et risque d’être classée sans suite.

Alicia Silverstone, la bonne épouse, complice d’un système ?

Les fausses pistes

Il faut toujours un coupable, toujours une fin aux affaires. Celui qui ne veut pas se faire prendre doit trouver une cible qui satisfera les autorités pas trop regardantes sans éveiller de soupçons auprès du grand public. C’est là qu’entrent en scène les fameux « bien connus des services de police ». Les « usual suspects », les petits malfrats, cas sociaux ou juste un peu à la marge de la société, qui ont déjà eu affaire à la police parfois pour des délits mineurs, qui sont dans les registres, et servent notamment à garnir les parades d’identification autour d’un suspect. Ceux qu’on interroge quand on n’a personne sous la main. Dans un scénario un peu plus poussé, elles peuvent remplir une fonction bien pratique au cœur d’un complot. Un personnage inquiétant, qui semble avoir des informations compromettantes, se retrouve dans une position de pion sur un échiquier qui le dépasse largement. Trop peu crédible pour être entendu par le bon flic, trop tapageur pour être ignoré par les forces en présence. Michael Pitt (Eli Phillips) est méconnaissable en voisin rustre et énigmatique, n’est pas de taille à faire tomber une famille bien implantée, les Grady, qui règnent sur un petit empire immobilier – le jeune premier Will, interprété par Justin Timberlake, et sa mère incontournable, Camille, l’impressionnante Frances Fisher.

Michael Pitt, le voisin crasseux pas méchant mais inquiétant

Le pot de terre contre le pot de fer

Toujours un temps en retard, le quidam honnête subit les événements pendant que ceux qui tirent les ficelles assoient méthodiquement leur emprise, tout en couvrant leurs traces. La discrétion et la rapidité d’exécution sont les deux atouts d’une telle entreprise, qui perdure pendant des années au sein d’une communauté qui n’en a absolument aucune idée. La mécanique du mal est ainsi décrite avec soin et sobriété. Tom Nichols n’a aucune idée de ce qui se passe, au-delà de son cercle d’amis, et encore moins à l’intérieur. Mais dès lors qu’il commence à trouver des traces d’une activité souterraine, du fait de sa personnalité, il ne pourra continuer à vivre dans le flou. En bon flic, il ira jusqu’au bout. Ce n’est donc qu’une question de temps avant qu’il ne découvre les tenants et les aboutissants de l’affaire. À mesure qu’il avance, il rencontre des résistances, indirectes dans un premier temps, puis de plus en plus directes. Une situation qui rappelle celle de Viggo Mortensen dans A history of violence (de David Cronenberg, 2005, 1h35), où un homme honnête se retrouve aux prises avec un système mafieux dans la campagne américaine, comme si l’éloignement des grandes villes autorisait plus facilement les petits trafics entre amis.

Une histoire captivante

À partir d’éléments d’intrigue somme toute classiques, Grant Singer réussit à raconter une histoire captivante et originale, portée par un Benicio Del Toro remarquable, charismatique, qui apporte une crédibilité indéniable à son personnage et à tout son écosystème – notamment lorsqu’il marque fermement son territoire face à un bellâtre qui tourne autour de sa compagne. Il y a une certaine inertie, une routine qui s’installe dans la vie de cette communauté, malgré des crimes effroyables, tant que l’enquête suit son cours et peine à établir des conclusions. En maintenant le doute jusqu’au bout, les créateurs arrivent à donner une vie très convaincante à l’ensemble des protagonistes, gardant une constante ambiguïté sur la réalité des choses et le rôle que doit jouer Benicio Del Toro, flic tranquille promis à une carrière sans vagues auprès de sa femme et de ses amis, ou fauteur de troubles nécessaire. Malgré le typecasting habituel à Hollywood qui peut mettre sur la voie, et les habitudes du genre, le suspens reste entier.


Voici la bande annonce en version originale.

Et voici une vidéo intéressante sur le processus de création du film, raconté par son auteur.


Reptile de Grant Singer (2h14, 2023). Avec Benicio Del Toro, Justin Timberlake, Alicia Silverstone, Domenick Lombardozzi, Frances Fisher, Eric Bogosian, Ato Essandoh, Michael Pitt, Karl Glusman, Mike Pniewski. Disponible sur Netflix le 29 septembre 2023.

OncleGil

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