La nuée, un premier grand film qui fait mouche

Le drame de la vie paysanne, traité avec passion et talent au cinéma dernièrement (Petit paysan, d’Hubert Charuel, 1h30, 2017 et Au nom de la terre, d’Édouard Bergeon, 1h50, 2019), c’est un sujet à la fois complexe et sensible, d’actualité, certes, mais loin d’être évident à présenter au cinéma. Le film de genre, en France, est souvent difficile à aborder, en termes de production et de fréquentation des salles – on aimerait en voir plus souvent, mais le public n’en est pas si friand dans l’ensemble, on dit qu’il n’y a pas vraiment de marché. C’est le terrain choisi par Just Philippot pour son premier film, présenté en résumé comme un “thriller agricole”. Vous avez bien lu. Agricole. Thriller. L’auteur explore le parcours d’une femme et de son exploitation familiale, soumis aux tensions du marché, et qui trouve un moyen singulier de faire face, en augmentant le rendement de son élevage de sauterelles dans des proportions inespérées… et dangereuses. C’est La nuée, un film très original et captivant, qui sort au cinéma le 16 juin 2021.


La condition paysanne

C’est le sujet actuel par excellence, la condition paysanne en France en 2021 est toujours aussi complexe et dégoûtante. Il suffit de voir les tendances des prix du lait pour se rendre compte du degré d’absurdité étourdissant de la filière. En un claquement de doigts, la grande distribution décide du destin de nombreux entrepreneurs surmenés et pris à la gorge, contraints de vendre leur production à perte ou avec de très faibles revenus, alors même que les marges des intermédiaires tendent à augmenter. En embuscade, les consommateurs au pouvoir d’achat réduit, tiraillés entre la promesse de prix toujours plus bas et le soutien à des producteurs essentiels qui jouent péniblement leur survie. Sujet gravissime, malaisant, qui fournit un espace d’expression dramatique parfait. Si, en réalisant un film à la fois palpitant et profond, original mais ancré dans le réel, le réalisateur peut faire évoluer les consciences, c’est tout bénef.

De la terre au fantastique

La terre, ce sont les racines, c’est le point de départ de l’existence, c’est ce qui nous nourrit. C’est aussi le théâtre de drames, là où tout peut finir rapidement, si on ne fait pas attention. Sous la pression financière, des décisions graves sont parfois prises par des industriels et des exploitants, de nature à remettre en cause tout l’écosystème. Pollution directe ou indirecte, entre l’usine qui déverse des produits chimiques dans la nature, l’exploitant qui fatigue ses terres par la surproduction, le recours aux pesticides dont les résidus chimiques se retrouvent dans l’alimentation des bêtes et des consommateurs, nombreux sont les dangers de l’exploitation agricole. Et dès lors qu’on sort du cadre, les conséquences sont rapidement catastrophiques, voire cataclysmiques. C’est là que Just Philippot place son regard, au moment où l’humain choisit de déborder légèrement, puis se fait déborder par des forces qui le dépassent. C’est terrifiant et terriblement stimulant d’un point de vue cinématographique, surtout dès lors que la fiction permet de pousser le bouchon bien au-delà de la réalité (qui elle-même rivalise avec la fiction, dans la période que nous venons de vivre). Le défi est lancé. Alerte popcorn !

Des personnages convaincants

Pour rendre tout cela crédible, pour que la magie opère, le réalisateur a misé sur une actrice principale remarquable, Suliane Brahim. Aperçue dernièrement au cinéma dans Hors Normes (d’Éric Toledano et Olivier Nakache, 2019, 1h54), Suliane Brahim est une actrice de la Comédie-Française qui a joué dans de nombreux films pour la télévision, notamment Dom Juan et Sganarelle (de Vincent Macaigne, 2015, 1h48). Elle a également joué le rôle principal pendant les deux saisons de la série Zone Blanche (de Mathieu Missoffe, 16 épisodes, 2017-2019 disponible sur Netflix), où elle incarne Laurène Weiss, chef de la gendarmerie de Villefranche. Dans le film de Just Philippot, elle incarne une mère de famille en difficulté avec son exploitation agricole, qui sombre de désespoir dans une forme de folie, dans une étonnante symbiose avec son élevage de sauterelles. Un personnage juste, profond, qui évite les stéréotypes, c’est une mère célibataire endurcie qui se laisse tout doucement glisser dans l’horreur.

Autour d’elle, sa famille est composée de son ainée Laura (Marie Narbonne) et du jeune Gaston (Raphaël Romand). Elle est soutenue par Karim (Sofian Khammes, dit Poutine dans Le monde est à toi de Romain Gavras, 2018, 1h41, et bientôt à l’affiche dans Un triomphe d’Emmanuel Courcol, 2021, 1h46). Un cadre qui la maintient, d’une part, mais qui la pousse aussi inévitablement vers l’inconnu, quand elle essaie à son tour de garder le cap, de soutenir sa famille coûte que coûte. C’est un piège insidieux.

Un tient vaut mieux…

La Nuée est un film atypique, réussi, à voir sur très grand écran dès le 16 juin 2021. Il s’inscrit dans une démarche de relance du cinéma de genre en France, à l’initiative du producteur Wild West, avec une dizaine de projets à venir. En attendant, on tient un bon auteur, appuyé par une production de qualité, qui donne aux petites bêtes un réalisme incroyable, soutenu par des acteurs et des actrices parfaits. Just Philippot signe un premier film inspiré, profond et trépidant, qui remue les tripes. Après une longue période de fermeture des cinémas et des reports successifs, La nuée sort enfin sur les écrans pour rencontrer son public.


La nuée (de Just Philippot, 2020, 1h41). Avec Suliane Brahim, Sofian Khammes, Marie Narbonne, Raphaël Romand, Victor Bonnel, Vincent Deniard, Guillaume Bursztyn, Stephan Castang. Un film produit par Capricci Production, The Jokers, Arte France Cinéma, Auvergne-Rhône-Alpes Cinéma, distribué en France par The Jokers / Capricci et à l’international par Wild Bunch. Au cinéma le 16 juin 2021. Crédits photos: The Jokers – Tous droits réservés.

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