Swedish dicks, les “nice guys” suédois vous saluent

Quand un acteur comme Peter Stormare travaille à Hollywood, dans des films à gros budget comme Minority Report ou Constantine, c’est beaucoup de talent et d’expérience avec une gueule unique qui investissent les quelques minutes qu’on veut bien lui accorder à l’écran. C’est un acteur d’impact, qui captive le public en un instant, dès le premier regard. Mais une fois la prise dans la boîte, entre deux rôles, même grassement rémunérés, le temps peut paraître très long. C’est pourquoi autant d’acteurs de ce calibre passent dès que possible à la réalisation ou à la production, car au lieu d’attendre dans leur loge ou à la maison que le téléphone ne sonne enfin, ils anticipent et créent leurs propres projets. Swedish Dicks est donc le bébé d’un acteur bouillonnant (il partage la création avec Peter Settman, Glenn Lund et Andrew Lowery), qui se donne ainsi enfin un rôle principal à la mesure de son talent. Et comme il est malin, il a entraîné dans cette aventure l’un des acteurs les plus en vue du moment, l’incontournable Keanu Reeves (Matrix, John Wick, Constantine). Une série à la fois étonnante et consternante, disponible sur Netflix, tout est dans le dosage.


Dick, le mauvais rôle par nature

Le détective privé a souvent le mauvais rôle. Engagé pour sa discrétion et son indépendance, il mène une enquête pour le compte d’un particulier à la différence d’une enquête de police, il ne s’inscrit ni dans une hiérarchie ni dans un processus précis, il n’est tenu à aucune obligation vis-à-vis de la loi – si ce n’est de la respecter comme tout autre citoyen, évidemment. Ses découvertes et ses conclusions n’ont pas vocation première de rendre la justice, mais de renseigner un client, alors même qu’une enquête officielle des autorités a lieu. C’est donc par nature un rôle à la marge, qui attire une certaine clientèle – qui a les moyens de financer une enquète privée et le souhait de ne pas emprunter les voies strictement légales. Hercule Poirot, par exemple, agissant pour son client, rappelle à l’occasion qu’il ne fait pas partie de la police et, alors qu’il délivre ses conclusions, n’a pas l’intention d’en faire quoi que ce soit. S’il découvre l’assassin, il n’ira pas le dénoncer à la police. Le détective, surnommé Dick, par affaiblissement ou par référence à un détective célèbre du XIXe siècle, Dick Donovan (dont les aventures furent publiées dans le mensuel londonien The Strand magazine avec celles de Sherlock Holmes) est donc C’est l’annonceur de mauvaises nouvelles aux épouses victimes d’adultère qui cherchent à en avoir la preuve, dont l’intérêt décroit considérablement à l’issue de l’enquête – on le paye et on le congédie bien vite pour en finir avec l’affaire en question. Sa présence même et son travail dérangent. Le terme « dick » est donc employé avec un certain dédain.

Stormare le magnifique

Remarqué pour sa gueule de dur et son jeu d’acteur dramatique particulièrement efficace dans des grandes productions américaines, Peter Stormare a le profil idéal pour incarner un anti-héros. Dans son petit bureau crasseux, avec son allure de cowboy, il arbore fièrement une épaisse moustache et une chemise à fleurs sous sa veste à franges pour incarner Ingmar, un petit détective alcoolique désabusé qui ne se remet pas de deux accidents de la vie: la perte d’un ami très cher dans des circonstances mystérieuses quand il était cascadeur (Tex, incarné par Keanu Reeves), mais aussi la ruine de son couple, qui lui vaut une relation contentieuse avec sa fille, une brillante avocate. Un personnage torturé, cadre parfait pour un Stormare inspiré, qui jouit enfin d’une grande liberté d’expression dans un rôle principal, malgré un format serré et un montage très dynamique (25 minutes par épisode). Le grand acteur classique européen investit la série avec panache.

À la recherche d’un sidekick swedish

Pour le seconder, en apportant une touche purement suédoise, Peter Stormare a trouvé Johan Glans, un comédien de stand-up parfaitement bilingue, avec qui il peut ainsi échanger en passant d’une langue à l’autre. Un bon moyen pour affirmer ses racines suédoises, établir une complicité entre deux personnages que tout oppose, tout en gardant l’attention du grand public. Une belle paire de loosers.

Johan Glans a commencé sa carrière à la télévision suédoise dès 1994. Il a tourné dans la série Kvarteret Skatan (de 2003 à 2006) puis dans le film tiré de la série, Kvarteret Skatan travels to Laholm (de Mikael Syren, 1h24, 2012). En solo, il a réalisé plusieurs tournées de stand-up dans le monde scandinave (2008) puis le monde entier (2013). Il était donc prédestiné à intervenir dans une série sortie d’abord dans son pays (sur la chaîne Viaplay, 2016), puis exportée aux États-Unis (Pop TV, 2017) – un juste retour aux sources, puisque l’action est située à Los Angeles. La série a été diffusée en France (Série Club, 2018).


Keanu, l’autre fou à lier

Vedette du cinéma d’action dans les années 90 (Point Break de Katryn Bigelow, 2h02, 1991 puis Speed, de Jan de Bont, 1h56, 1994), héros de la trilogie culte Matrix pour commencer le nouveau millénaire en fanfare, Keanu Reeves a réussi à se réinventer avec une autre trilogie inattendue en mode polar, John Wick (2014-2019, un quatrième film déjà dans la boîte). Et comme il aime les défis, il est venu apporter sa présence inimitable dans une série un peu naze et barrée, transformant une banale citrouille en carrosse. À l’image de Peter Stormare, qui sublime un rôle a priori bien modeste, Reeves parvient par petites touches à faire basculer la série dans le surnaturel, sans l’abimer. Ce n’est pas lui le héros, on s’attend à un petit caméo sans importance, un soutien symbolique à son ami de cinéma, un grand nom pour aider la série à intéresser le grand public. Arnaque, placement de produit? Nenni. Les deux grands s’arrangent pour cultiver une relation compliquée sans toutefois vampiriser le récit, ajoutant une dimension dingue à une petite histoire de détectives sans prétention. Une fois de plus, Keanu Reeves est excellent et très original.

Traci, le retour d’une bombe

Elle avait réussi la transition improbable du X au grand écran grâce à John Waters, dans le film Cry Baby mettant en scène un très jeune Johnny Depp (1h25, 1990) après son rôle principal dans Le Vampire de l’espace (de Jim Wynorski, 1h21, 1988, remake du film de Roger Corman de 1957 produit par l’auteur). Traci Lords, la femme qui a conquis, enflammé et ravagé le cinéma pour adultes au début des années 80, fait une incursion remarquable dans cette série. C’est Jane McKinney, la propriétaire du plus grand cabinet de détectives de Los Angeles, qui entretient une rivalité improbable avec Ingmar. Une source d’inspiration pour Peter Stormare, qui a écrit le rôle en pensant à elle, aussi impressionné et inspiré par son visage que par son parcours, décrit dans un livre autodiographique édifiant (Underneath it all, 2003, Harper Collins). Une femme qui a traversé des épreuves dès l’âge de 14 ans, vaincu ses addictions et ses démons, et qui signe ici une performance remarquée.

Une série à suivre… peut-être?

Si la série compte à ce jour deux saisons, elle en mérite largement au moins une troisième. Intelligente, trépidante et drôle, elle a le mérite d’avoir traversé l’atlantique dans le sens inverse, de Suède jusqu’à Hollywood. Elle a eu son succès, suffisant pour être remarquée et reconnue, mais peut-être pas pour financer une suite immédiatement. Il faudra donc s’armer de patience, mais avec un tel casting et une histoire aussi inspirée, en laissant monter le désir, en permettant aux auteurs de fignoler leur script, il y a des chances que Peter Stormare endosse à nouveau sa veste à franges. Et qui sait, peut-être que Keanu Reeves sera encore de la partie.



Swedish dicks (de Peter Settman, Andrew Lowery, 2016, 2 saisons, 21 épisodes de 25 minutes). Avec Peter Stormare, Johan Glans, Vivian Bang, Keanu Reeves, Felisha Cooper, Traci Lords, Stephanie Koenig. Une série produite par Viking Brothers Entertainment et Brain Academy, distribuée par Lionsgate Television et disponible en France sur Netflix. Sortie initialement sur Viaplay (Suède, 2016), Pop TV (États-Unis, 2017) et Série Club (France, 2018). Crédits photos: ©2017 Lionsgate – Tous droits réservés.

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