Dirty God, la vie après le drame
En faisant appel à une authentique victime au lieu d’une actrice professionnelle, la réalisatrice Sacha Polak a visé entre fiction et documentaire pour aborder un sujet rare, dont le message fort est écrit en toutes lettres, en caractères gras taille maximale sur l’affiche: la vie après un traumatisme auquel on ne peut échapper, la brûlure et ses indélébiles cicatrices. C’est Dirty God, en salles dès le 19 juin 2019.
Quand la vie bascule à cause d’un fait divers ou d’un drame familial, un accident de parcours, on pense d’abord au drame lui-même, au préjudice, à la justice et son lent travail, on lit dans la presse ce qu’il advient du responsable (peine de prison, modalités d’application de la peine) car ce sont des données objectives simples, faciles à rassembler dans un paragraphe. Mais on ne sait jamais ce qui arrive à la victime, dont le cheminement est bien plus long et complexe, impossible à aborder dans une brève ou un petit article. C’est l’histoire de Jade que raconte Sacha Polak.
La délicatesse d’une réalisatrice inspiré
En choisissant de ne pas recréer visuellement le drame en lui-même, pour éviter tout sensationnalisme ou voyeurisme probablement, l’auteur a pris le parti de suivre la victime dès la sortie de l’hôpital, évitant également le long processus de reconstruction passive et l’important travail des médecins, les choix douloureux et les détails les plus pénibles. Tout cela est évoqué brièvement, mais pas montré. On démarre le film sur un constat, un état, c’est le premier jour d’une vie qui recommence avec des traces encore bien trop visibles du drame. Le processus est loin d’être fini, mais les médecins ont fait tout ce qu’ils pouvaient. C’est le début d’une autre expérience douloureuse, le retour à la vie en société avec un visage et un corps abimés.
Le double peine de Jade
Après avoir subi la sanction d’une homme aveuglé par la colère, la jeune femme subit ainsi le regard des autres et une autre forme de violence, ordinaire et latente, l’absence de compassion des gens. Au lieu d’être soutenue et accueillie à bras ouverts par une société lucide et aimante, elle est rejetée et à nouveau victime de toutes les bassesses possibles – les commentaires dénués de sensibilité de collègues de travail, la méchanceté et la cruauté de blagues, la malveillance. Et même les amis et la famille, dont on pourrait attendre quelques égards, se montrent d’une passivité voire d’un manque de sollicitude étonnants. Comme si les gens étaient étonnés que Jade veuille Au moment où elle a besoin de soutien, elle est confrontée à la dure réalité d’une vie abimée.
Vivre malgré tout
C’est sans doute pourquoi Sacha Polak n’a pas tant insisté sur le coupable et l’acte en eux-mêmes. La société est toute aussi violente au quotidien, de manière encore plus sournoise et désarmante, car gratuite et surtout, au long cours. Si Jade doit s’en sortir, elle le devra avant tout à elle-même, envers et contre tout. C’est une reconstruction totale qui s’entreprend, avec des étapes difficiles, des embuches, des erreurs qui pourraient être fatales. Un authentique parcours du combattant pour simplement vivre.
Un triomphe
Dans la difficulté et la misère, le parcours de Jade est d’autant plus méritoire qu’elle n’abandonne jamais. C’est sa capacité de résistance, sa détermination, sa féminité qui demeurent et lui permettent de traverser toutes les épreuves. Elle prouve que le bonheur existe, il faut savoir le trouver, attendre, ne pas douter. C’est un film fort, qui s’adresse ainsi à toute personne ayant subi un accident grave de la vie – tout est encore possible. Il faut y croire et ne pas rester victime, reprendre goût à la vie et au final, triompher. Une histoire exemplaire interprétée avec talent et sensibilité par une jeune femme étonnante, actrice britannique dans son tout premier rôle au cinéma, Vicky Knight.
Un film novateur et engagé
Dirty God a été projeté en première mondiale comme film d’ouverture au Festival international du film de Rotterdam 2019, puis a été présenté au festival du film de Sundance 2019 dans la sélection World Dramatic Competition – une première pour une réalisatrice néerlandaise. C’est le troisième film de Sacha Polak après Hemel et Zurich, mais son premier film en langue anglaise. Elle a co-écrit le scénario avec Susanne Farrell et le film a été produit par Viking Film, avec qui la réalisatrice a déjà collaboré sur Zurich et un documentaire, New boobs.
Dirty God, de Sacha Polak (1h44, 2019). Avec Vicky Knight, Bluey Robinson, Katherine Kelly, Rebecca Stone, Dana Marineci, Eliza Brady-Girard. Un film produit par Independent, A private view, Emu Films et Viking Film, distribué en France par Les Bookmakers / The Jokers. Sortie au cinéma le 19 juin 2019. Crédits photos: Les Bookmakers / The Jokers – Tous droits réservés.