Blindspotting, duo de choc
Longue est la route qui mène au salut dans la société américaine, dès lors qu’on a fauté. Statistiquement, une fois passé par la case prison, le quidam a plus de chances d’y retourner que de s’en sortir, c’est un fait. Collin l’a bien compris, il fait donc tout son possible pour retrouver une vie normale et ne pas devenir lui-même une statistique. Mais malgré tous ces efforts, à quelques jours de la liberté, le sort semble vouloir s’acharner. Va-t-il réussir?
Pour évoquer l’effet des violences policières sur une communauté, les auteurs/acteurs Daveed Diggs et Rafael Casal ont misé sur leur complicité naturelle, incarnant deux personnages composés à partir de nombreuses personnes bien réelles représentant un quartier d’Oakland, la ville des Golden State Warriors. Deux trentenaires qui travaillent comme simples déménageurs et forment à l’écran un duo digne de l’Arme Fatale, sans les badges de policiers.
Si Collin est aussi mou et résigné, c’est parce que la rage qui est en lui n’est pas bonne conseillère. Elle l’a mené tout droit en prison et il ne veut pas y retourner. On assiste donc aux effets d’une répression insidieuse, celle de la liberté conditionnelle, qui n’est qu’un simulacre de liberté. Le personnage évolue littéralement avec les fers aux pieds, obligé de se contenir et vivant constamment dans la peur du couperet. La simple vue d’une arme, pourtant courante aux États-Unis, le met dans un état de panique incontrôlable. Et lorsqu’il assiste à une bavure policière en pleine rue, alors qu’il devrait être déjà rentré pour respecter le couvre-feu obligatoire, il devient un fantôme.
Comédie dramatique inspirée, Blindspotting offre une immersion dans la peau d’un homme en sursis, vivant dans la peur du moindre faux pas, privé de ses droits élémentaires le temps d’atteindre la rédemption. Une sorte de demi-vie en attendant mieux, avec la crainte de voir la peine se prolonger sur un malentendu. Entouré d’amis turbulents et pas toujours très au clair avec la loi, qui ne respectent absolument pas sa fragilité, Collin s’accroche cependant car il sait que la réinsertion passe par là. Seul, il n’y arriverait probablement pas.
Et pourtant, alors que sa situation parait évidente, il semble que Collin ait toutes les peines à se faire comprendre de son ami, qui n’a pas connu la prison. On constate la différence flagrante entre les deux personnages, l’un voulant éviter à tout prix les ennuis tandis que l’autre multiplie les incartades. Comme si l’un cherchait désespérément à aller en prison, alors que l’autre s’astreint à en sortir pour de bon.
Et alors que la vie pourrait les séparer, les événements semblent au contraire les rapprocher inexorablement. Dans les épreuves, malgré les inégalités flagrantes et des systèmes aux effets pervers, la seule chose qui ne change pas, qui résiste au temps et aux grands changements de la société, qui reste à l’esprit même au fond du trou, c’est cette belle amitié.
Blindspotting offre une immersion non seulement dans une communauté en proie à de profonds changements dans l’Amérique contemporaine, mais surtout dans la peau de braves gars imparfaits, blanc et noir, qui ne perdent jamais de vue l’essentiel – la solidarité. Un beau voyage.
Blindspotting, de Carlos Lopez Estrada (2018, 1h35). Avec Daveed Diggs, Rafael Casal, Janina Gavankar, Jasmine Cephas Jones, Wayne Knight, Tisha Campbell-Martin, Kevin Carroll, Utkarsh Ambudkar. Un film produit par Snoot Entertainment et Foley Walkers Studio, distribué en France par Metropolitan Filmexport. Sortie au cinéma le 3 octobre 2018. Crédits photos: Metropolitan Filmexport – Tous droits réservés.