Yannick, un Dupieux court et bien tassé

On a beau connaître le cinéma de Quentin Dupieux, le propre de l’artiste est de dérouter, parfois consterner, parfois subjuguer, au risque même de décevoir. Il ose, il va trop loin, pas assez… Avec Yannick, l’auteur-réalisateur embarque une nouvelle troupe de comédiens dans un délire encore plus court que les précédents, mais toujours très compact et captivant. Un film-sketch dans un lieu unique, riche en rebondissements, qui met en scène et en avant des acteurs remarquables. Que demander de plus?


Au théâtre ce soir

Ce n’est pas un film dans le film, mais une pièce de boulevard dans le film, avec comme thème central l’idée du divertissement. Un spectateur dépité provoque un fait divers insolite, sortant de son rôle pour piloter la soirée. Il prend des acteurs à partie en les forçant à prendre de la hauteur par rapport à leur métier, du point de vue d’un amateur avec ses défauts. Raphaël Quenard s’en prend ainsi à Pio Marmaï, Blanche Gardin et Sébastien Chassagne, au milieu d’une salle de spectacle, avec une petite assemblée de spectateurs qui participe à une véritable expérience sociale. Même si le film est annoncé comme relativement court (1h07), Dupieux se lance dans une exploration humaine ambitieuse et réussit à installer une durée.

Comme un air de Quenard

Trublion montant du cinéma français, récemment vu face à Anthony Bajon et Galatea Bellugi dans Chien de la casse (de Jean-Baptiste Durand, 1h33, 2023), Raphaël Quenard s’impose avec sa gouaille et son aplomb. C’est un jeune acteur charismatique, déterminé et sans complexes, qui avance à grands pas. Barré aussi bien à l’écran qu’à la ville, il trouve chez Dupieux un univers qui lui correspond et qui lui offre toute latitude pour exprimer sa folie souvent contenue. L’acteur et le réalisateur parmi les plus barrés de la profession étaient faits pour se rencontrer.

Du Pio très au point chez Dupieux

Bien connu des services, Pio Marmaï est déjà passé entre les mains de réalisateurs et réalisatrices inspirés dans des rôles variés, du plus dramatique au franchement comique, avec des morceaux de bravoure (une séquence de mime de chez Klapisch dans En corps, un délire en costume de latex avec Salvadori dans En liberté !). En passant chez Dupieux, il aura tout essayé (et tout réussi). Acteur très doué attiré par les expériences insolites, Pio Marmaï suit une trajectoire parallèle à celle de Raphaël Quenard, se faisant un nom de film en film, leur rencontre est donc improbable et s’annonce explosive.

Dupieux de l’avant

Depuis quelques films, Quentin Dupieux fait le tour des noms du cinéma français avec bonheur en proposant des aventures originales et remarquablement mises en scène, tirant le meilleur (ou le pire, voire le grotesque) de ses collaborations. Ses histoires courtes sont simples en apparence, mais elles révèlent systématiquement une certaine profondeur. Dans Au poste (2018, 1h13), Grégoire Ludig était coincé au poste de police dans une interminable confrontation avec un Benoit Poelvoorde pas pressé, ponctuée d’interventions de Monsieur Fraize, Anaïs Demoustier et Orelsan. Dans Le Daim (2019, 1h17), Jean Dujardin embarquait Adèle Haenel dans une improbable quête à la fois de cinéma et de domination vestimentaire (avec un style de malade). Dans Incroyable mais vrai (2022, 1h14), pendant que Benoit Magimel subit les péripéties de son anatomie augmentée à l’insu d’Anaïs Demoustier, Lea Drucker tombe dans une forme de démence sous le regard inquiet mais impuissant d’Alain Chabat. Dans Fumer fait tousser (2022, 1h20), le réalisateur réunit Gilles Lellouche, Vincent Lacoste, Jean-Pascal Zadi, Oulaya Amamra et Anaïs Demoustier en costumes de super-héros moulants dans l’intrigue principale, mais également Adèle Exarchopoulos, Doria Tillier, Blanche Gardin et Raphaël Quenard dans des sketches secondaires. Dans Yannick, Quentin Dupieux pousse Pio Marmaï dans la lumière, sous le regard critique de Raphaël Quenard, lui-même regardé avec mépris puis inquiétude par Blanche Gardin et Sébastien Chassagne.

Touche-à-tout brillant, Quentin Dupieux écrit, réalise et monte lui-même un film court mais dense, en opposition directe avec la tendance hollywoodienne à faire de plus en plus long (2h42 pour le dernier Mission Impossible, 2h22 pour le dernier Indiana Jones), proposant une pause fraîcheur assez courte (1h07) aux estivants qui ne veulent pas passer un après-midi enfermés dans le noir. Un beau pari pour un beau film, qui en cache un autre (Daaaaaali ! avec Anaïs Demoustier, Edouard Baer, Pierre Niney, Jonathan Cohen et Marc Fraize est déjà tourné et montré).


Yannick de Quentin Dupieux (1h07, 2023). Avec Raphaël Quenard, Pio Marmaï, Blanche Gardin, Sébastien Chassagne. Un film produit par Chi-Fou-Mi Productions et Atelier de Production, distribué en France par Diaphana Distribution. Au cinéma le 2 août 2023.

OncleGil

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