Dans “Un fils”, Sami Bouajila au bord de la crise de nerfs

La vie est belle pour Fares et Meriem. Avec leur fils Aziz, leurs amis, leur joie de vivre, c’est une famille tunisienne épanouie et a priori sans histoires. Et puis c’est le drame. Alors que le pays découvre la menace terroriste, quelques années avant Daesh, le couple se retrouve confronté à un tourbillon de doutes, de blessures et d’épreuves. Chef d’orchestre inspiré, Mehdi M. Barsaoui enfonce progressivement ses personnages dans la difficulté et assiste de très près à leurs réactions. Bienvenue dans son laboratoire, avec Sami Bouajila dans le rôle du père, Najla Ben Abdallah dans le rôle de la mère et épouse, ainsi que Youssef Khemiri, le fils. Un fils sort en salles le mercredi 11 mars 2020.


Venez à la rencontre du réalisateur et de son acteur principal dans notre interview.


Un temps pour tout

Quand un enfant débarque dans la vie d’un couple, le temps prend une autre dimension. Quand tout se passe bien, on s’adapte au nouveau-né, on construit une vie hybride autour de lui, et ce grand changement est déjà une épreuve, qui révèle parfois des failles dans le couple. Et quand, en plus, le malheur frappe, c’est une nouvelle épreuve qui commence. Arrive le temps des soins, des doutes, l’humain devient tout petit face au domaine médical, qui lui échappe totalement. La vie s’arrête. Dans la Tunisie de 1991, où Mehdi M. Barsaoui a choisi de situer son récit, s’ajoute le temps du conflit politique, qui dérègle tout. Ce sont donc pas moins de trois échelles de temps différentes qui se superposent autour de cette famille. La perte de repères est la clé de ce récit trépidant, où les protagonistes assistent à l’effondrement de leur confort et de leurs certitudes. Que vont-ils devenir?

La modernité à l’épreuve

Voilà la défi qui attend Sami Bouajila et Najla Ben Abdallah, aux prises avec leur destin dans un pays en plein bouleversement. Scénariste habile et plein de ressources, Mehdi M. Barsaoui réalise un authentique thriller avec différents niveaux de danger – le réel, avec la menace terroriste, celui de l’extérieur, mais également celui de l’intérieur, bien plus insidieux et imprévisible. En confrontant ses personnages à des situations compliquées, avec des révélations pénibles, le réalisateur déstabilise ses personnages et son public, mélangeant les situations selon les différents points de vue, les prises d’initiative individuelles, jouant sur les dialogues mais aussi les silences entre les différents protagonistes. Un exercice d’équilibriste qui ne tombe jamais dans le ridicule ou le trivial, car il est parfaitement maîtrisé.

Jusqu’où irez-vous?

C’est la question centrale, qui parle à tout le monde: jusqu’où faut-il aller pour sauver son enfant? Est-ce qu’il faut même se poser la question? Dans l’absolu, la réponse peut sembler évidente. Mais en posant cette question sous plusieurs angles, l’auteur complique délibérément les choses pour plonger dans l’incertitude. Il pousse ainsi ses personnages dans leurs retranchements, offrant à Sami Bouajila l’opportunité d’explorer les profondeurs de son âme, tiraillé entre la tentation de la colère, de la justice, de la vengeance personnelle, et son rôle d’époux et de père. Il se retrouve dans des situations qui divisent l’opinion, où la définition du bien n’est pas la même pour tous.

Une grande réalisation

En abordant les différents événements avec patience et subtilité, Mehdi M. Barsaoui évite systématiquement les clichés, privilégiant l’originalité tout en restant crédible. Il offre à ses deux personnages principaux des rôles profonds et exigeants, car il faut bien le dire, il les fait littéralement passer par toutes les couleurs. Un regard à la fois bienveillant pour ses acteurs, dont il était très proche pendant le tournage, et terrible pour ses personnages, dont il attend beaucoup. L’auteur crée à partir de pas grand chose, finalement, un couple et leur enfant au milieu de rien, isolés dans leur malheur avec un ennemi invisible, une histoire saisissante et extrêmement réaliste aux ramifications profondes, un film passionnant où se mèlent action, sentiments, émotions tout en invitant le spectateur à la réflexion, avec des temps de pause au milieu du chaos. Une remarquable symphonie, avec des dialogues justes, des tensions sans invectives, de l’intensité sans réelle violence – de la gravité mais toujours dans la dignité.

En effet, tout ce qui est grave n’est jamais filmé explicitement. Il n’y a pas d’effet facile, de sensationnalisme. Le réalisateur est constamment dans la retenue, la subtilité, là où il aurait été facile de choquer le spectateur. Tout en restant lucide et efficace, l’auteur garde son cap et sa hauteur. Il propose à Sami Bouajila et Najla Ben Abdallah deux grands rôles complexes, passionnants, un défi que les comédiens relèvent avec brio.


Voir notre entretien avec Sami Bouajila et Mehdi M. Barsaoui.


Un fils (Bik Eneich), de Mehdi M. Barsaoui (2020, 1h36). Avec Sami Bouajila, Najla Ben Abdallah, Youssef Khemiri, Noomene Hamda, Qassine Rawane, Slah Msaddek, Md Ali Ben Jemaa, Jihed Cherni. Un film produit par Cinétéléfilms, Dolce Vita Films, 13 Productions, en coproduction avec Metafora Production, Sunnyland Film et Jour2Fête, distribué en France par Jour2fête. Au cinéma le 11 mars 2020. Crédits photos: Jour2fête (film) et Place du Cinéma (entretien) – Tous droits réservés.

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