La bonne épouse, dernière folie de Martin Provost

Si vous ne connaissez pas encore Martin Provost, vous avez raté quelque chose. Auteur de Séraphine (2008, 2h05) avec Yolande Moreau et Sage femme (2017, 1h57) avec Catherine Frot et Catherine Deneuve, déjà 8 long-métrages à son actif, Martin Provost est l’un de nos grands réalisateurs hexagonaux (2 Césars en 2009, meilleur film et meilleur scénario original, pour Séraphine). Pour son dernier film, un authentique coup de maître au casting pléthorique, l’auteur s’est attaqué de manière particulièrement inspirée à un sujet d’actualité brulant, la conditon de la femme en France à la fin des années 60, période décisive à cheval entre deux époques bien distinctes, bien longtemps avant internet et le mouvement #metoo. Immersion dans une autre France, un autre temps, à travers le regard de Paulette Van Der Beck, incarnée par Juliette Binoche, entourée de Noémie Lvovsky et Yolande Moreau.



On revient de loin… très loin

En situant son film autour des événements de mai 68, loin des pavés et des barricades cependant, Martin Provost nous ramène à une France vieillissante, déconnectée, enfermée dans des certitudes et des traditions, des habitudes, où la femme étouffe. Pourquoi tant de souffrance? Parce que ce n’est pas si loin, finalement. Pour bien comprendre l’importance des mouvements successifs d’émancipation, non seulement de la femme, mais de l’enfant, et plus généralement de toutes les formes d’opression dans la société, il était nécessaire de revenir aux sources. Une époque où la directrice d’un établissement ne possède pas de chéquier, n’a le droit au chapître qu’avec l’aval de son mari…

Un véritable hymne aux femmes… de cinéma

Bien connues du grand public, Juliette Binoche, Noémie Lvovsky et Yollande Moreau sont de très grandes actrices au parcours varié, qui méritent de grands rôles. Martin Provost ne les a pas retenues par hasard, offrant à chacune une partition très précise, déjouant les habitudes que l’on peut prendre dans des registres plus attendus. Il ouvre à Yollande Moreau la coquetterie et la sensualité qu’il a confisquées à Noémie Lvovsky, emprisonnée dans un costume de nonne parfaitement ajusté, avec des lunettes particulièrement rigides. Et si Juliette Binoche est bien le premier rôle féminin du film, c’est un véritable trio de tête qui anime cette aventure passionnante.

Une succession de tableaux à la composition soignée

Se rapprochant doucement d’un Wes Anderson, Martin Provost compose des plans pittoresques, n’hésitant pas à réunir dans une fenêtre un ensemble de jeunes filles, alors que Noémie Lvovsky armée d’une carabine émerge du toit pour entamer une conversation musclée avec un intrus noctambule, au loin, dans le jardin. Un exemple parmi d’autres de situations insolites, imbriquées, où les caractères s’entrechoquent, dans un désordre parfaitement orchestré. Un travail minutieux de Martin Provost et sa co-scénariste, Séverine Werba (qui a travaillé sur la série Engrenages), mis en image par un spécialiste reconnu, Guillaume Schiffman (également à l’œuvre cette année sur Le prince oublié, Les traducteurs et Le meilleur reste à venir). À noter également le travail considérable sur les ambiances musicales, signées Grégoire Hetzel (Roubaix, une lumière, d’Arnaud Desplechin, 2019, 1h59). Une équipe de choc, en parfaite harmonie avec l’inspiration du cinéaste.

Baer l’indomptable

L’une des uniques figures masculines du film, avec un François Berléand méconnaissable, sacrifié pour la cause, Édouard Baer ravit toujours par sa justesse. Il assume ici parfaitement sa minorité et prend, dans le temps qui lui est imparti, une dimension romantique extraordinaire. Salué par Juliette Binoche lors de la présentation du film en avant-première à Paris, l’amant héroïque étonne encore par la qualité de sa répartie, d’une constance remarquable, parvenant à sublimer dans un effort magnifique une simple recette de cuisine. Si Nicolas Cage avait réussi à rester captivant en récitant frénétiquement l’alphabet en entier (dans Embrasse-moi vampire, de Robert Bierman, inédit en France, 1h43), Édouard Baer rivalise ici sérieusement. L’éternel jeune homme du cinéma français affiche une maturité et un aplomb saisissants. Si l’on ne peut plus parler de révélation à ce stade, il s’agit sans doute d’une belle confirmation.


La bonne épouse, de Martin Provost (2020, 1h49). Avec Juliette Binoche, Yolande Moreau, Noémie Lvovsky, Edouard Baer, François Berléand, Armelle, Marie Zabukovec, Anamaria Vartolomei, Lily Taïeb et Pauline Briand. Un film produit par Les Films du Kiosque en coproduction avec France 3 Cinéma, Orange Studio, UMedia, Imagine Films et Memento Films Production, distribué en France par Memento Films Distribution et à l’international par Memento Films International. Au cinéma le 11 mars 2020. Crédits photos: Carole Bethuel, Les Films du Kiosque / Place du Cinéma – Tous droits réservés.

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