The Irishman, un long chef d’œuvre signé Scorsese

Trois heures et trente minutes de film non-stop, c’est une épreuve rare en salle de cinéma. C’était pourtant le challenge imposé lors de la projection en avant-première et sous haute surveillance du dernier film de Martin Scorsese pour la plate-forme Netflix, qui sera disponible en streaming le 27 novembre 2019 et donc, en vertu de la chronologie des médias en vigueur en France, jamais en salles de cinéma. L’occasion était donc trop belle de voir un tel film sur son format de prédilection, le très grand écran, à la Cinémathèque Française. Présenté succintement par l’auteur lui-même (en 3 minutes 30 chrono, comme un symbole), le marathon à travers les âges du syndicalisme américain côté gangsters pouvait commencer.


Si long… si dense… si bon…

Comme le disait si bien Thierry Frémaux (directeur de l’Institut Lumière de Lyon et délégué général du Festival de Cannes), si on est capable d’enchaîner les épisodes de séries sans pub et sans pauses sur la fameuse plateforme de streaming, avalant ainsi des heures de programmes à la suite, un film de plus de 3h ne devrait pas faire peur. La perspective de passer autant de temps dans un siège de cinéma n’est certes pas aussi libre que sur le canapé du salon, pas moyen de faire « pause », le contexte est bien sensiblement différent, il faut le reconnaître. Mais devant un Scorsese, dont chaque plan est particulièrement soigné, l’exercice devient assez facile. Il suffit de se laisser porter. D’autant qu’il y a matière et un effort de présentation.

Un montage dynamique ahurissant

Comme dans Casino, où le personnage de Robert DeNiro passe son temps à changer de costume (il explore toutes les couleurs de l’arc-en-ciel), les personnages de The Irishman changent de peau à un rythme effreiné. En effet, en adoptant une structure non-linéaire, Scorsese montre ses personnages à différentes époques de leur vie dans un désordre étonnant, avec des flashbacks plus ou moins reculés en alternance.


En quelques heures, le cinéaste parvient à retracer la vie de différents protagonistes dans une Amérique qui change profondément, et c’est passionnant. Entre les costumes, les voitures, les décors très variés, les poteaux électriques surchargés, les attitudes des acteurs, des premiers rôles au dernier figurant, toute la mise en scène est extrêmement précise, notamment lors de séquences filmées au ralenti. On passe donc de tableau en tableau avec un niveau de détail extrême, c’est une immersion totale dans un univers désormais lointain, qui n’est cependant pas vieillot. Chaque plan est sublime. Cela méritait donc de s’attarder un peu, ici et là.

Une distribution mythique à pied d’œuvre

Avec un trio de légendes, Al Pacino, Robert DeNiro et Joe Pesci, secondés par de nombreux acteurs secondaires de premier plan (Harvey Keitel, Jessie Plemons, Anna Paquin, Stephen Graham, Bobby Cannavale et Ray Romano), Martin Scorsese se livre donc à une reconstitution de haute volée particulièrement crédible. Une prouesse à la fois technique et artistique complexe et très inspirée. L’intrigue est captivante, l’auteur ayant le chic de raconter à sa manière une histoire dont on est censé connaître l’issue (Jimmy Hoffa est connu pour avoir disparu sans laisser de trace), tout en faisant douter le spectateur jusqu’au bout. Le tout accompagné d’une musique singulière et en parfaite harmonie avec l’ambiance du film, qui ne ressemble à aucun autre dans le répertoire du cinéaste.

L’une des grandes qualité du film, c’est son rythme et son équilibre. Tout est calculé, réglé comme du papier à musique, sans faute. On le sait, Martin Scorsese est précis, exigeant, organisé. Il sait où il va, il nous emmène exactement où il veut. C’est donc très confortable.

Un coup de maître

Au bout du compte, 3h30 qui passent vite. Et un film qui mérite d’être revu plusieurs fois – un bénéfice du streaming sur la plate-forme de Netflix – avec probablement des récompenses à la clé. En effet, étant projeté dans certains pays en salles, le film sera éligible aux Oscars. Lequel de tous ces génies repartira avec sa statuette, c’est toute la question.


The Irishman, de Martin Scorsese (2019, 3h30). Avec Robert DeNiro, Al Pacino, Joe Pesci, Harvey Keitel, Jessie Plemons. Un film produit par Netflix, Fábrica de Cine, STX Entertainment, Sikelia Productions et Tribeca Productions, distribué par Netflix France. Disponible sur Netflix le 27 novembre 2019. Crédits photos: Netflix – Tous droits réservés.

OncleGil