Rollerball, le choc d’anticipation originel

Quand j’étais petit, je regardais beaucoup la télévision et j’enregistrais des films avec un magnétoscope. Parmi les films qui ont marqué ma jeunesse, il y a Rollerball (de Norman Jewison, 2h05, 1975). En le regardant à nouveau aujourd’hui sur Amazon Prime, je me rends compte de ce qui m’a marqué dès les premières minutes. Un réalisme fou, toute la puissance d’immersion du cinéma américain avec un décor fabuleux, des plans soignés (tantôt documentaire, tantôt fiction) et des acteurs au top. Une ambiance à la fois cérémonieuse, triste, glauque, dans un ensemble parfaitement cohérent – univers à part. Une belle évocation de l’industrie du sport-spectacle aux États-Unis et des enjeux politico-financiers, avec comme point central un homme seul, aux prises avec un système qui le dépasse. Un rôle iconique pour James Caan qui reste une référence du genre aujourd’hui.


Du muscle sur patins

Quand on y pense, la proposition a tout d’une blague. On parle quand même de joueurs de football américain avec les épaules et le casque, un gant de baseball pour attraper une balle en métal, le tout sur sur des patins à roulettes. D’où l’entrée en matière solennelle avec l’orgue, une ambiance d’église, peut-être même de funérailles. Il fallait donner un ton très sérieux, presque opressant, pour que le spectateur adhère immédiatement, en assistant à une authentique rencontre sportive dans une ambiance froide, professionnelle, sobre. Tout le monde est tendu et concentré en entrant dans l’arène, les joueurs sur le terrain comme les dirigeants en tribune. Les gestes sont mécaniques, c’est une grande machine qui est à l’œuvre, c’est une rencontre parmi tant d’autres à la fin d’une longue saison sportive, chacun est à sa place habituelle. La première expression de joie n’arrive qu’à la 10ème minute, quand Jonathan E, le héros, marque le premier but du match.

Pas de CGI et des acteurs cascadeurs

Le film datant de 1975, on est évidemment dans une époque pratiquement sans effets numériques au cinéma (en tous cas, pas réalistes). Au moment du tournage et de la production du film, entre août et décembre 1974, l’informatique est encore poussive, tout est donc filmé en prises de vues réelles. Et comme les acteurs principaux sont filmés en pleine action, en plans serrés mais aussi en pied, il n’y a pas de tricherie possible. James Caan, acteur principal mais également ses coéquipiers, sont bien souvent au cœur de l’action et indiscutablement sans filet. C’est Tom Cruise à une époque bien moins sécurisante pour les acteurs et même les cascadeurs – dont pas mal de blessés sur ce tournage. Le site étant authentique, tout en béton, un long tournage en patins à roulettes, même avec des combinaisons rembourrées, mais pas trop pour garder une jolie ligne svelte et gracieuse, était promis à des difficultés et des accidents.

Une approche très pratique orientée sur le jeu

Dans ces conditions, une attention particulière a été portée sur la cohérence du jeu. Les acteurs et cascadeurs ont donc passé un temps considérable en dehors des prises à pratiquer le sport entre eux, bien au-delà de leur engagement initial, afin d’en comprendre les tenants et aboutissants comme de vrais sportifs dont c’est le métier, mais surtout un jeu bien défini avec des règles logiques. C’était le seul moyen de comprendre un sport fictif, de lui donner vie en conditions réelles, avec un certain vécu, afin de se situer lors du tournage des différentes scènes. James Caan et les cascadeurs ont donc pris les choses en mains, allant même jusqu’à changer certains dialogues et improviser leurs répliques. Le scénario, déjà adapté aux conditions pratiques et physiques de tournage et aux demandes du studio, a donc évolué plus ou moins contre le gré du scénariste et du metteur en scène, le bon sens finissant par s’imposer. C’était un travail collectif, exigeant, à la fois physique et mental. Et cela explique l’aspect très réaliste et saisissant des séquences de jeu, puisque l’ensemble des joueurs à l’écran avaient déjà réellement pratiqué le sport en amont.

Une dystopie angoissante et divertissante

Outre le sport, le héros est confronté à des décisions importantes tout le long du film. Fort de sa réussite sportive, il devient une force imprévue et inquiétante pour le pouvoir, qui tente de l’éliminer. James Caan a l’habitude d’affronter l’adversité dans son parcours cinématographique. Dans ce film, il se bat aussi bien dans l’arène que dans les coulisses, jusque dans son propre foyer. Rien n’est jamais acquis, tout peut lui être repris à tout moment, et c’est sa capacité de réflexion, son recul sur les événements, qui lui permettent de s’en sortir à sa façon. Sommé de s’exécuter sans broncher, sous pression, il s’en remet à des valeurs fondamentales et démontre par sa force de caractère qu’il peut trouver une issue bien plus favorable que celle qu’on lui imposait. Mais comme Michael Jordan avec le basketball (1982-2003), c’est avant tout sa réussite sportive qui lui ouvre toutes les portes, le rend indispensable et lui permet d’affirmer son indépendance. Un film qui résonne donc toujours aussi fort.


Rollerball de Norman Jewison (2h05, 1975). Avec James Caan, John Houseman, Maud Adams, John Beck, Moses Gunn, Pamela Hensley, Barbara Trentham, Ralph Richardson, Shane Rimmer, Alfred Thomas, Richard LeParmentier, Burt Kwouk, Robert Ito. Un film produit par Algonquin et United Artists, distribué par United Artists. Sorti au cinéma aux États-Unis le 25 juin 1975 et en France le 12 novembre 1975.

OncleGil

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