Martin Jauvat – Grand Paris (Entretien à Paris, 22/03/2023)

Martin Jauvat, le 22 mars 2029 à Paris. ©2023 Gilles Vaudois / Place du Cinéma.

Gilles Vaudois – Martin Jauvat, bonjour. Nous sommes à une semaine de la sortie de votre film Grand Paris au cinéma. Dans quel état d’esprit êtes-vous ?

Martin Jauvat – Je me laisse porter, là. Je fais ce qu’on me dit de faire. C’est plutôt cool. Peut-être un peu stressé quand même parce que j’aimerais bien que les gens viennent voir le film et je n’arrive pas du tout à savoir ce qui va se passer. L’incertitude, c’est toujours un peu vertigineux, mais je suis hyper heureux d’avoir fait un film qui sort en salles. Et que des gens aillent dans une salle de cinéma pour voir cette histoire, c’est quand même un rêve qui se réalise. C’est mon premier long métrage, je n’aurais jamais cru qu’un jour, je ferais un film qui sortirait en salles. Je suis quand même super excité.

GV – Et le fait d’être à la fois auteur-réalisateur, ce qui est assez courant en France, mais auteur-réalisateur ET acteur principal (en binôme avec Mahamadou Sangaré), c’est une grande responsabilité.

Un grand pouvoir implique de grandes responsabilités !


GV – Vous avez présenté le film en festivals, ce qui a déjà permis d’avoir un contact avec le public. Mais la sortie en salles, c’est autre chose.

Martin Jauvat – Oui. Maintenant, c’est le vrai monde. La vraie réalité. Le public de festival, c’est un public qui est déjà conquis, d’une certaine façon. Il a l’habitude de venir, il vient découvrir quelque chose de nouveau. Là, on va sortir dans les salles. On est confronté à toutes les autres formes de cinéma, toutes les autres formes d’économie aussi. Nous, c’est un film qui est fragile, qui est plein de bonne volonté, qui est plein d’audace, que j’adore. C’est un film qui a été bénéficié de moins de moyens que d’autres, ça c’est sûr. Et c’est différent de le présenter en avant-première (et au cinéma). Effectivement, on a présenté à Cannes à l’ACID, c’était génial. On a fait plein de festivals depuis, moi j’ai beaucoup voyagé. Je n’avais pas tant voyagé que ça dans ma vie et là, j’ai découvert plein d’endroits, j’ai rencontré plein de monde. Et maintenant la sortie c’est complètement une autre ambiance. Il faut appréhender de façon complètement différente et je suis en train de m’y adapter parce qu’encore une fois, c’est la première fois que je le vis. Mais c’est vrai qu’on a fait beaucoup de festivals. Quand j’ai commencé à faire des films, j’ai fait deux courts métrages un peu auto-produits, et à chaque fois j’étais super déçu parce qu’ils n’étaient pris dans aucun festival. Chaque fois, je regardais la liste des films retenus, je voyais toujours les mêmes et jamais moi et à chaque fois j’avais envie de pleurer. Et c’est vrai que là, d’en avoir fait autant, je suis vraiment très très content et en même temps épuisé. On a beaucoup voyagé et ils boivent tout le temps, les mecs, dans ces trucs-là, tu bois tout le temps, après tu es bourré et tout…

GV – Comment est-ce que les gens vous perçoivent ? Est-ce qu’ils parlent au réalisateur ou à l’acteur ?

Martin Jauvat – Réalisateur. Je suis assez content quand on me parle de mon travail de comédien parce que c’est important pour moi. Mais en général, j’endosse le costume du réalisateur, je parle beaucoup plus de comment on a fait le film, de comment on a résolu toutes les questions, tous les problèmes de A à Z, et pas tellement comment j’ai appréhendé en tant que comédien pour jouer ce personnage-là. C’est comme si ça allait ensemble, vraiment. Et d’ailleurs pour moi c’est…

GV – C’est organique ?

Martin Jauvat – C’est organique, ouais. Bah déjà, je ne joue pas beaucoup. Je ne suis pas comédien de formation. J’ai quelque chose de très spontané dans ma façon de jouer, quoi. Et donc, c’est comme si je ne me considérais pas vraiment comme un comédien. Enfin, c’est mon poste technique sur le film parce qu’effectivement, bah je suis dans le film et tout ça, mais je n’ai pas l’impression d’être quelqu’un qui joue la comédie, quoi.


GV – C’est quand même important parce que c’est un rôle principal, c’est votre premier long-métrage en tant que réalisateur, vous avez besoin d’avoir un maximum d’atouts de votre côté. À quel moment est-ce que vous êtes senti suffisamment confiant en tant qu’acteur sans formation pour vous dire que c’était le bon choix ? À quel moment le réalisateur a-t-il fait confiance à l’acteur ?

Martin Jauvat – C’est mon producteur qui m’a qui m’a soutenu dans cette décision-là alors que moi la première fois que j’en ai parlé, j’avais rencontré Mamadou qui joue Leslie et je lui donnais la réplique pour être sûr… Moi, j’avais un coup de cœur, je l’avais vu dans Le monde est à toi (de Romain Gavras, 2018, 1h44), pour moi c’était lui. Mais quand même, on a essayé quelques scènes pour être sûr que ça matche un peu, même humainement. Et donc, je donnais la réplique de Renard à ce moment-là et c’est lui qui a commencé à me dire « ah mais tu pourrais jouer Renard, ça marche bien entre nous ». Pour moi, c’était impossible. Déjà, c’était mon premier long-métrage comme réalisateur, j’ai pas un CV énorme, j’ai aucune formation, aucun diplôme, je ne vais pas en plus me rajouter cette responsabilité immense. Mais j’en ai quand même parler à mon producteur, l’air de rien. Il m’a dit « oh ouais, super ».

GV – Directement ?

Martin Jauvat – Il m’a fait immédiatement confiance et je me suis dit : « écoute, si lui me fait confiance, il a plus d’expérience que moi, il a fait plein de films, je lui fais totalement confiance. Eh bien, je vais y aller. ». Après, j’ai beaucoup hésité. Jusqu’à quelques jours du tournage, même parfois, j’avais du mal à dormir, je me disais : « mais est-ce que je ne suis pas en train de faire une énorme connerie ? » Est-ce que là, je n’ai pas visé un peu trop, quoi ? Et à chaque fois, je me remettais en question, je me disais : « T’es sûr que c’est une bonne idée ? ». J’avais trop peur de me foirer. J’avais déjà peur de me foirer comme réalisateur, mais d’autant plus en tant que comédien. Il y a un truc un peu prétentieux, un peu narcissique de jouer dans son propre film, enfin de mon point de vue, c’était ça. Maintenant, avec le recul, je me dis qu’au contraire, je raconte des histoires avec des personnages qui sont tellement proches de moi et j’ai tellement ce plaisir de jouer quelqu’un qui me ressemble dans la peau de quelqu’un qui me ressemble mais qui n’est pas tout à fait moi, le temps d’une scène, c’est tellement un plaisir pour moi, je ne me vois plus m’en priver maintenant. J’ai vraiment adoré le faire et ces histoires sont tellement dans une forme de sincérité, de vécu proche de ce que j’ai pu vivre avec bien sûr des petites variations parce que j’ai pas trouvé d’artefact, il ne m’est pas arrivé autant d’aventures, mais ça me paraît une évidence maintenant d’incarner mes films.

GV – Et puis ce sont vos propres textes.

Martin Jauvat – C’est ça, je suis hyper à l’aise avec ce que j’écris. Et alors, j’ai très peu d’expérience en dehors mais c’est toujours plus compliqué pour moi de dire le texte de quelqu’un d’autre. J’écris beaucoup en fonction de la façon de parler des comédiens, c’est très important pour moi que les dialogues aient l’air le plus spontané, le plus naturel possible. Et donc, quand on me demande s’il y a de l’improvisation, je suis toujours assez heureux ; ça veut dire qu’on a bien bossé.

Mahamadou Sangaré et Martin Jauvat dans Grand Paris. ©2022 Ecce Films.

GV – Parce que ça paraît naturel, ça ne paraît pas joué, ça ne paraît pas répété, quoi.

Martin Jauvat – Moi, je ne veux pas que ça a l’air joué, ça doit paraître presque documentaire alors que le dialogue part dans quelque chose de loufoque, de complètement inattendu, mais c’est fait de façon la plus fluide et la plus spontanée possible.

GV – Quel a été le timing de l’écriture et ensuite le timing du tournage, du montage ? Combien de temps est-ce que cela a pris ?

Martin Jauvat – C’était ma première expérience de film produit. J’avais fait plutôt des courts-métrages auto-produits où c’est nous qui gérons quand on tourne, quand on chope les moyens. On était tributaires de plein de contingences matériel genre « ah bah l’appareil photo de mon oncle, finalement, on l’aura que la semaine prochaine », des trucs comme ça. Et là, on a essayé d’avoir un peu de budget ; alors je disais que c’est une économie qui est modeste, mais on a quand même eu des financements. On a eu un pré-achat d’Arte aussi en moyen-métrage, enfin, des choses qui sont miraculeuses surtout quand tu as à peu près rien fait, comme c’est mon cas, mais ça a pris du temps. Pour la première fois, j’étais confronté à cette temporalité-là où tu déposes un dossier puis tu t’attends qu’on dise « oui » ou « non », et puis après tu attends encore pour le prochain tour, puis après on dit « oui » mais « non, il faut attendre et re-déposer… ». Je crois que la première fois qu’on a déposé, c’était en avril 2019. J’écris assez vite la première version du scénario et tout le temps où on attendait des réponses, j’ai continué à travailler dessus et à étoffer le scénario, à rajouter des personnages, à rajouter des scènes, des aventures. Et en fait, on est passé comme ça du court au long-métrage.

GV – Naturellement.

Martin Jauvat – Naturellement, ouais. Et un jour, le producteur me dit : « ah, tu as réécrit, eh bien envoie-moi la nouvelle version. ». Je lui envoie la nouvelle version et en fait, ah bah c’est un long métrage maintenant. Et là, pareil, il m’a fait confiance immédiatement. Il ne m’a pas dit « non, il faut d’abord faire un court… ». Je crois que ce défi-là aussi lui donne encore plus d’énergie, quoi. En mars 2020, je suis parti en résidence, j’ai re-déposé au CNC (donc un an plus tard, ça faisait un an que j’avais écrit le scénario), on a eu l’argent en juin – on savait qu’on pouvait faire en juin et qu’on allait tourner en septembre. Et il faut dire aussi qu’on a eu le Covid dans les pattes, donc on a tourné en septembre 2021, soit un an et demi après l’écriture du scénario. Et ensuite, on avait ce double enjeu de monter un court métrage et un long métrage parce qu’on avait des obligations de pré-achat court-métrage, donc on a fait deux versions du même film. Ça nous a pris beaucoup d’énergie et de temps, et donc on a fini assez vite le court-métrage…

GV – C’est pour ça, Grand Paris Express ?

Martin Jauvat – Exactement, c’est pour ça. On a eu beaucoup de mal à monter le long à trouver un autre rythme. C’était mon premier long-métrage, c’était aussi le premier long de Jules Coudignac, avec qui je monte mes films, en tant que chef monteur. Et on a essayé plein de choses différentes, plein de musiques, plein d’ordres de séquences, on a vraiment trituré notre scénario et ce qu’on avait tourné dans tous les sens, et ça a pris beaucoup de temps au montage.

GV – Alors, du coup, combien de temps de montage à peu près ?

Martin Jauvat – Un an.

GV – Un an de montage. Vous avez donc un monteur dédié ?

Martin Jauvat – Ouais.

GV – Et il va bien ?

Martin Jauvat – Ouais. Il est très content. On s’entend très bien.

GV – Ça dû être c’était très dur à monter, avec des pics d’activité, des hauts et des bas.

Martin Jauvat – C’était très dur. On n’en n’a jamais eu marre, mais il y a des moments où il était à bout.

GV – La fatigue.

Martin Jauvat – Fatigué et puis tu tournes en rond, tu essayes un truc, tu te dis « cette fois, ça va marcher », tu regardes et ça marche pas. C’est très très très frustrant, aussi et à un moment donné, on a demandé l’avis d’un autre monteur externe qui est venu, « Paf ! », d’un coup apporter un regard extérieur complètement neuf et ça nous aidé à prendre beaucoup de recul et à repartir dans une nouvelle énergie, dans la dernière ligne droite, pour finir le montage. Ça nous a fait beaucoup de bien, ça. Et maintenant, il est très content, on est tous les deux très très contents du résultat final. Entre-temps, on a fait un autre court-métrage ensemble, puis on est très potes dans la vraie vie. Mais ouais, ça a été dur, c’est vrai. C’est gentil de penser à sa santé.

Martin Jauvat et Mahamadou Sangaré dans Grand Paris. ©2022 Ecce Films.

GV – Ce n’est pas toujours facile de travailler avec des potes.

Martin Jauvat – En fait, on est devenus potes en travaillant ensemble, on ne se connaissait pas avant de faire mon premier court-métrage. C’est Benoît Forgeard qui nous a fait nous rencontrer parce que moi, j’étais stagiaire sur son deuxième long métrage et Jules était assistant-monteur [Note de l’éditeur: Ce serait plutôt son troisième film, Yves, en 2019]. Donc, on était un peu deux assistants, deux jeunes en voie de professionnalisation et c’est Benoît qui nous a fait nous rencontrer sur le montage de mon premier film, Mozeb, et on s’est pas lâchés depuis.

GV – Parce que ça fonctionne.

Martin Jauvat – Ça fonctionne, on s’entend bien parce qu’on passe beaucoup de temps ensemble.

GV – Et vous avez des automatismes.

Martin Jauvat – Complètement, ouais.

GV – Donc il fait 1h12. Il y a un montage de 3h ?

Martin Jauvat – Il y a un montage de 1h40, quasiment et moi j’aime pas les longueurs, j’aime pas le remplissage ou la facilité. Tout ça, ça me saoule en tant que spectateur. Alors, je voulais faire le film le plus condensé, concentré et dynamique possible, même s’il y a tout un passage qui est beaucoup plus mélancolique planant qui prend son temps aux deux tiers du film. C’est important pour moi, aussi, qu’il y a des ruptures de rythme, qu’on ne soit pas toujours dans la même vitesse.

GV – Il y en a quelques-unes.

Martin Jauvat – Oui, c’était important pour moi justement de creuser comme une montagne russe, quoi. Et ouais, cette version d’1h12, c’était mon premier long métrage, il était produit de façon un peu pirate, alors j’avais peur de me rapprocher trop de la barre de l’heure et qu’on remette en question son statut de long métrage. C’était une crainte que j’avais. Et à un moment, je me suis dit que ce qui compte, c’est de faire le film qui fonctionne et après, on regarde combien de temps il dure. Et c’est ce qu’on a fait, et 1h12, c’est assez court pour un long-métrage, mais je trouve que ça correspond aussi à la forme atypique, non seulement de l’histoire qu’on raconte, mais aussi de la façon dont on la produit, et j’ai beaucoup de sympathie pour les longs métrages assez courts. Ça me plaît beaucoup, comme format, à titre personnel, en tant que spectateur.

GV – C’est ce que fait Quentin Dupieux, des films de cette durée, et c’est assez agréable car en ce moment, la mode c’est beaucoup de films qui furent 2h30, 2h49-2h50, 3 heures, donc ça fait du bien aussi d’arriver à exprimer une aventure comme ça dans un film d’une heure, un peu plus d’une heure, c’est agréable aussi.

Martin Jauvat – J’avais pas envie qu’on perde son temps ou qu’on s’ennuie en regardant le film. J’avais envie de dire ce que j’avais à raconter et puis « ciao ! », on va faire autre chose.

GV – Vous n’avez pas envie de filmer l’ennui.

Martin Jauvat – J’avais envie de montrer l’ennui mais pas d’ennuyer le spectateur.

GV – Quelle est votre définition pour ces deux personnages principaux, Renard et Leslie? Ce sont des jeunes de banlieue. Je trouve qu’ils sont attachants et toujours curieux, c’est ce qui les sauve, j’ai l’impression. Quelle que soit la galère, on leur propose une aventure, ils sont toujours réceptifs et prêts à aller là où on les emmène.

Martin Jauvat – Ils sont très bienveillants, c’est une attitude que j’essaie d’avoir moi-même. C’est d’être ouvert sur tout ce que le réel a à nous offrir. Le quotidien. Ils ont gardé leur âme d’enfant. Ce ne sont pas des modèles de réussite Macronistes. Leslie et Renard, ce sont plutôt des loosers magnifiques. J’ai pensé aux mecs qu’on voit dans le RER, qui fument des joints, qui font un peu chier, qui parlent trop fort, qui sont relous, en fait, derrière cette façade-là, ils cachent beaucoup de beauté, de tendresse, plein de choses. Et j’avais envie de casser le cliché de ces gars en survêt qui traînent et de montrer que ce sont des grands enfants, pleins d’humanité, de richesses et de surprises. Je crois que ce qui les caractérise le plus, c’est qu’ils ont besoin de tendresse, ils ont du mal à l’exprimer parce qu’ils n’ont pas grandi et été éduqués dans un environnement où c’est hyper simple en tant que garçon de dire « j’ai besoin d’un câlin », tout simplement.  Il y a tout un discours, l’air de rien, sur l’inégalité des chances, sur la production sociale. Mais, par exemple, Leslie et Renard ne sont pas du tout du même environnement. Renard, c’est un gamin comme moi, de banlieue pavillonnaire, plutôt classe moyenne. Lui, il est même plus aisé que moi, en fait. Et Leslie, un peu comme Mahamadou d’ailleurs, il vient d’une cité beaucoup plus représentative de ce qu’on voit à la télé ou même du cliché qu’on peut s’en faire. Mais pour autant, ils sont amis et ce qui les rassemble, c’est ce désœuvrement, ces difficultés à trouver sa place dans la société, qui on est, qu’est-ce qu’on a envie de faire, et ça induit tout un rapport politique au monde, au temps, ils sont désœuvrés, ils n’ont rien à faire, ils sont beaucoup plus dans l’accueil, justement, de tout ce qui peut venir perturber leur quotidien.

GV – Et comment est-ce que, justement, vous avez construit ce personnage par rapport à vous ? Vous avez dit qu’il était un peu plus aisé que vous.

Martin Jauvat – Un poil plus, dans ma tête.

GV – Donc, ce n’est pas complètement biographique ?

Martin Jauvat – En vrai, si. Renard, dans ma tête, j’aurais voulu qu’il soit encore un peu plus aisé, comme ça, ça crée un décalage avec cette attitude qu’il a d’essayer de faire le mec de quartier alors qu’en fait il vient d’une classe moyenne plutôt confortable. Moi, c’est plutôt moyen de chez moyen, dans l’idée, mais par contre, j’ai beaucoup plus conscience de l’endroit d’où je viens que Renard. Renard, pour lui, c’est un mec, c’est un gangster et je n’ai jamais cru ça de ma vie. Quand j’étais au collège, j’étais juste un petit babetou.

GV – Il est entreprenant.

Martin Jauvat – Il est entreprenant, ça le rend touchant aussi. Il se ridiculise tout le temps mais il essaye de garder le sourire. C’est quelque chose que j’essaye de faire aussi dans ma vraie vie et même quand je suis triste ou que je suis stressé ou que ça ne va pas comme je veux, j’essaie de garder la pêche. Et Renard, il me ressemble dans bien des aspects, mais il est plus insouciant que moi et j’aimerais lui ressembler encore plus. Il a l’air quand même assez heureux, je trouve.

GV – Il doute de rien.

Martin Jauvat – C’est vrai, mais il vit quand même une misère affective assez vertigineuse.

Mahamadou Sangaré, Sébastien Chassagne, William Lebghil et Martin Jauvat dans Grand Paris. ©2022 Ecce Films.

GV – Et en termes de look ? Il y a un truc qui m’a interpellé, c’est le bandeau dans les cheveux et les cheveux teints. Cela correspond à une période de votre vie ou c’est une invention ?

Martin Jauvat – Je crois que j’avais le fantasme secret de le tenter et puis ça m’a servi de prétexte pour pouvoir dire : « Ah, c’est à cause du film. » Il y avait ça, mais surtout je voulais en tant que donc cette double casquette de réalisateur et comédien, me glisser dans la peau du personnage, c’était plus facile en me déguisant, déjà. Et je trouve que ça fait bien petite frappe, bandeau, décoloration, ça fait bien le mec qui se prend pour un gangster, mais il est quand même ridicule. J’aimais bien cette idée-là.

GV – Lui, dans sa tête, il cherche à avoir du style.

Martin Jauvat – C’est ça et en fait, tout le monde le prend pour (un idiot). Il y a même des scènes que je n’ai pas regardé au montage, ou on lui disait : « mais c’est pas possible cette coupe et tout ». On faisait des réflexions sur son physique.

GV – Ah oui, carrément ? On attaque le physique ?

Martin Jauvat – Ouais. Moi, je suis dans l’auto-dérision, donc je n’ai pas de souci avec ça. Et j’avais envie de construire comme ça des personnages de dessins animés avec des couleurs très tranchées, avec des petits accessoires qui permettent d’être reconnu en un instant, quoi, en un coup d’œil.

GV – Qui l’identifie.

Martin Jauvat – Qui l’identifie, ouais, et qui ne se change jamais d’un bout à l’autre du film, ils sont toujours habillés pareil, comme dans un dessin animé.

GV – C’est un uniforme.

Martin Jauvat – C’est ça.

GV – Cela n’a-t-il pas été galère en termes de raccord ?

Martin Jauvat – Si. En plus, mes cheveux poussent super vite, donc j’ai dû faire au milieu du tournage un raccord coiffure et je crois que c’est le moment le plus stressant de ma vie. J’ai eu tellement peur parce qu’en plus, ma coiffeuse habituelle avait le Covid, et donc j’ai dû faire confiance à un inconnu. J’avais tellement peur que d’un coup, il me fasse une coupe et c’est faux raccord et c’est fini le tournage. Heureusement, ils s’en est super bien tiré et ouais j’ai pu continuer. Je l’ai gardé un peu longtemps, après ma copine m’a dit « arrête les conneries maintenant, redeviens brun » parce qu’elle n’en pouvait plus. Moi, j’aimais bien, ça me manque un peu des fois.

GV – Et la position du bandeau ?

Martin Jauvat – Ça, c’est quand je joue au foot parce que sinon mes lunettes tombent, alors j’ai toujours un bandeau comme ça. Ça vient du foot.

GV – Parce que dans le film, vous courez, vous êtes en voiture, il y a énormément de mouvement, c’est un peu physique.

Martin Jauvat – Ben moi je suis très influencé par le travail de Tom Cruise.

GV – Vous faites vous-même vos cascades.

Martin Jauvat – Non, je déconne. Mais en vrai, je suis fan de Tom Cruise. Et lui, il court tout le temps. Dans tous les Mission Impossible, il court comme ça. Moi, j’adore ça. J’adore courir, j’adore les films d’action, c’est le cinéma qui m’a nourri, qui m’a bercé et non bien sûr je ne me prends pas pour Tom Cruise.

GV – Un petit peu.

Martin Jauvat – Le Tom Cruise du pauvre !

GV – Il y a un plan qui a retenu mon attention, c’était dans sur un quai de RER.

Martin Jauvat – Quand on court, oui.

GV – Vous avez tourné avec autorisation ?

Martin Jauvat – Aucune autorisation de tournage.

GV – Donc, ça c’est un truc, ça m’a bluffé. Il y a un plan en travelling latéral où vous courez tous les deux, il est magnifique, vous êtes beaux tous les deux. Comment avez-vous réalisé ce plan ? Vous avez quelqu’un en face qui vous suit ?

Martin Jauvat – En voiture. Il est en voiture sur la route. Il est en très longue focale, donc ça donne cette impression de proximité alors qu’en fait on est assez loin. Lui, il est sur la route et nous, on est de l’autre côté de la rangée des arrêts de bus et on court au milieu des bus. En fait, ça c’est en plus un traveling qui est assez long. 200 ou 300 mètres. Et comme par hasard, à ce moment-là, il s’est mis à faire super chaud, j’ai cru que j’allais tourner de l’œil. C’était un jour où on avait commencé à 5h du matin, je n’avais pas dormi de la nuit. Physiquement, c’était dur. Il y avait un vrai défi technique. Le film que je suis en train d’écrire, je me mets encore ces défis-là. Je crois que ça me plait beaucoup. Je disais ça en rigolant pour Tom Cruise, mais en vrai, je suis totalement fan de lui. Et peut-être qu’il y a ce fantasme-là de faire, à mon échelle, des toutes petites scènes d’action. J’ai envie de faire une comédie d’action. Un peu à la Tarantino, en Seine-et-Marne, avec des personnages de filles qui ne se laissent pas faire, qui ont grave la tchatche, et j’ai vraiment le projet de faire une comédie d’action dans un futur proche. Parce que c’est le cinéma que j’aime, aussi, tout simplement.

GV – Mais en tant qu’acteur ou réalisateur ?

Martin Jauvat – En tant que réalisateur. À un moment donné, il faut aussi trouver l’équilibre. Si je commence à avoir un projet avec plus de monde, avec plus de responsabilités, même plus d’enjeux financiers, peut-être qu’à un moment, je ferai la part des choses. Par exemple, moi je ne suis pas un mec connu, donc si on veut financer un film, peut-être qu’à un moment donné, il faudrait aussi de choisir un acteur qui donne plus de garanties. Je ne connais pas trop ce monde-là, mais je sais que c’est des discussions qui finissent par avoir lieu à un moment. Moi, je n’en suis pas du tout là pour l’instant, je fais un peu ce que je veux, mon producteur me soutient, on est dans une économie qui nous permet d’être très libre et c’est ça qui me plaît. Mais, je ne sais pas par exemple, c’est tellement exigeant, la comédie d’action et le film d’action, je ne sais pas si ce sera possible techniquement de faire à la fois acteur et réalisateur, mais si c’est possible, j’avoue, j’aimerais bien le faire.

Martin Jauvat et Mahamadou Sangaré dans Grand Paris. ©2022 Ecce Films.

GV – Un dernier mot sur Sébastien Chassagne et William Lebghil. William était déjà là dans « Le sang de la veine » (disponible sur MK2 Curiosity). Comment s’est-il retrouvé dans le long métrage ?

Martin Jauvat – J’avais déjà prévu le long métrage avant Le sang de la veine. J’ai tourné Le sang de la veine quand j’ai su que j’allais pouvoir faire Grand Paris. Je l’ai tourné juste avant parce que ça faisait plusieurs années que je n’avais rien fait et je ne me sentais pas prêt à affronter un long-métrage comme ça…

GV – Un exercice, du coup. Enfin, une expérience.

Martin Jauvat – C’est ça, il y avait cette idée-là, après c’est aussi un film qui compte énormément pour moi, qui a changé ma vie, en vrai, parce que c’est la première fois que j’ai fait des festivals, que le film a été diffusé sur Arte. Mais il y avait aussi cette idée-là de se remettre à l’ouvrage avant de partir dans le marathon de Grand Paris. Et donc, j’ai écrit pour William parce que c’est un acteur que j’adore depuis longtemps. En fait, je l’avais rencontré sur un tournage où j’étais stagiaire et lui avait le premier rôle et on est devenu potes. Après, il a fini par voir mes court-métrages auto-produits et c’est naturellement que je lui ai écrit le rôle d’Amin dans Grand Paris c’est le premier mec que je savais que ça serait lui c’était amine c’était William Sébastien, c’est un peu non c’est pas exactement pareil mais mon tout premier court-métrage auto-produit, je l’ai contacté sur Facebook pour jouer le rôle principal et il a accepté de me rencontrer, on s’est découvert une passion pour Lynch et Twin Peaks tous les deux, et il l’a fait. On a gardé contact. Des années plus tard, il est revenu sur Grand Paris, et là ça nous a encore plus rapprochés, parce qu’il est très investi sur le film, il l’aime beaucoup, on est venus plein de fois le défendre ensemble, on est allés à Montréal ensemble, première fois que je sortais d’Europe. Ce sont des aventures qui te rapprochent encore plus. Faire un film ensemble, ça prend toute ta vie, toute ton énergie, c’est ce que j’aime dans ce métier-là. Quand ça se passe bien, c’est génial. Quand ça se passe mal, c’est dur.

GV – Surtout que ça fait voyager.

Martin Jauvat – C’est clair. Je n’ai presque jamais voyagé dans ma vie, et là, d’un coup, je me retrouve invité au Canada, à Montréal, une semaine, j’étais tellement heureux, c’était génial comme expérience.

GV – C’est la banlieue, tout ce qui est péri-urbain, ça m’a fait penser à Lost et X-Files. Dans X-Files, on est toujours dans un coin paumé de campagne, il se passe quelque chose, le gouvernement arrive, etc. et il y a toujours ce décalage entre tout ce qui est vert et tout ce qui est technologique, comme les superstructures. Et le RER en lui-même, ça a des dimensions tellement gigantesques. Quand je vois un RER qui entre en gare ou qui en sort, j’ai l’impression d’être dans Star Wars avec les énormes vaisseaux qui défilent.

Martin Jauvat – C’est exactement ça.

GV – Et donc on a déjà, en fait, dans le RER, ce décalage…

Martin Jauvat – …de science-fiction ! Et c’est ça que j’ai voulu creuser dans le film. Et pour moi, les chantiers du Grand Paris Express, c’est pareil. Et la tour de Romainville, c’est pareil.

GV – Ce sont des bases spatiales, en fait, qu’ils sont en train de construire ?

Martin Jauvat – C’est ça. Ce sont des éléments du quotidien qui sont déjà fantastiques et que je voulais mettre en valeur et que je voulais travailler comme une possibilité de s’échapper un peu du réel, quoi. Là (sur l’affiche), la tagline, c’est « Un road movie hilarant au bilan carbone exemplaire ». Moi je voulais « Au-delà du périph et du réel ». Ça n’a pas été retenu.

GV – Eh bien, nous l’avons.

Martin Jauvat – Vous l’avez.

GV – Merci beaucoup et bonne chance pour la sortie. On y croit !

Martin Jauvat – Merci à vous. Je prends !


Grand Paris sort au cinéma en France le 29 mars 2023.


Grand Paris, de Martin Jauvat (2022, 1h12). Avec Martin Jauvat, Mahamadou Sangaré, William Lebghil, Sébastien Chassagne, Nicolas Grindatto, Erwin Aureillan, Margerite Thiam, Darius. Un film produit par Ecce Films, distribué en France par JHR Films. Sortie au cinéma le 29 mars 2023. Crédits photos: JHR Films – Tous droits réservés.

OncleGil

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