Glass – Shyamalan l’inclassable

À peine deux ans après le succès de Split (1h57, 2017), renouant avec l’univers d’un de ses tous premiers coups d’éclat (Incassable, 1h46, 2001), M. Night Shyamalan signe la fin d’une trilogie improbable avec Glass, sorti au cinéma le mercredi 16 janvier 2019.

L’auteur songeait déjà à Glass, évoqué avec son acteur-vedette James McAvoy sur le tournage de Split, et dont il a commencé l’écriture avant même la sortie du second volet – avant même de savoir si le succès de Split permettrait d’envisager la production d’une ultime suite.

Une telle suite étant délicate à monter en pratique: si Incassable appartient à Disney (via sa filiale Buena Vista), Split appartient à Universal. Pour produire Glass, il fallait convaincre les deux studios de partager leurs personnages. Shyamalan est allé plus loin. C’est avec sa propre société (Blinding Edge Pictures) et celle de son acolyte Jason Blum (Blumhouse Productions) que l’auteur a proposé de financer la production de son film avec un budget minime ($20 millions quand même), la distribution étant assurée par les deux studios, Disney et Universal, qui ont non seulement donné leur accord pour l’utilisation des personnages des deux premiers films, mais également permis l’utilisation de scènes d’Incassable coupées au montage. Un projet insolite, improbable, qui aurait pu buter sur autant de difficultés d’ordre juridique, mais qui est passé comme une lettre à la Poste. Il faut croire que Shyamalan le vaut bien.

Glass n’est donc pas une superproduction à la Marvel, M. Night Shyamalan reste dans son domaine sans collants ni fioritures, avec une utilisation très limitée des effets spéciaux et des couleurs. Un film gris, sombre, à l’opposé du blockbuster et une évocation très personnelle de l’univers des comics. Il faut se rappeler que déjà Incassable, s’il avait séduit les critiques et certains cinéphiles avertis, avait déjà permis de définir les contours du style Shyamalan, auteur exigeant et raffiné. Ce même style qui avait progressivement montré ses limites auprès du grand public conquis par Sixième sens (2000, 1h47 avec Bruce Willis et Haley Joel Osment), déconcerté par Incassable (2001), rassuré par Signes (2002, 1h45 avec Mel Gibson et Joaquim Phœnix), puis de moins en moins convaincu par Le Village (2004, 1h48 avec Adrien Brody et Bryce Dallas Howard) et Phénomènes (2008, 1h31 avec Mark Wahlberg). Une chute libre en termes de recettes dans le monde entier, suivie d’une traversée du désert (The last Airbender, 2010, puis After Earth, 2013), interrompue par Split (1h57, 2017).

Tout pour les acteurs

Après sa performance dans Split, James McAvoy a pu explorer davantage les nombreuses personnalités de son personnage, Kevin Wendel Crumb. Aussi convaincant en jeune garçon téméraire d’à peine 9 ans qu’en dame coincée mais distinguée, celui qui a incarné Monsieur Tumnus dans l’univers cinématographique de Narnya réussit une prestation sans faille, toujours aussi convaincante et originale. Un développement inattendu et très bien mené, qui complète parfaitement la trilogie.

Si Bruce Willis reste en retrait, dans la continuité de son personnage taciturne et qui n’a jamais demandé à avoir autant de pouvoir (une performance toute en nuances à ne pas confondre avec un quelconque désintérêt, c’est tout à l’honneur d’une telle superstar de ne pas tirer la couverture à lui), c’est parce qu’il y a du monde dans la place.

Sarah Paulson fait irruption dans la saga, réunissant pour la première fois dans un même lieu les trois phénomènes. Alors que Monsieur Verre (Mister Glass) semble totalement éteint depuis son incarcération, la présence d’autant de personnages dans un asile évoque de nombreux souvenirs de comics (on pense à Arkham de l’univers Batman), c’est une bombe à retardement. Est-elle consciente du danger? Est-ce volontaire et maîtrisé? Ou complètement fou?

Enfin, Samuel L. Jackson parvient à faire oublier toute sa filmographie – on parle quand même de Nick Fury, Mace Windu, Jules Wingfield – pour incarner le mal sous sa forme la plus subtile. Authentique méchant (villain), c’est le personnage annoncé en détails dans les épisodes précédents: machiavélique, génial et surtout… patient. Une force tranquille, imperturbable, totalement dédiée à sa cause. Un phénomène dans la plus pure tradition Shyamalienne, simple et efficace, qui se bat avec son esprit.

Glass est donc un film inattendu, déroutant et parfaitement en adéquation avec les épisodes précédents, une manière très personnelle pour son auteur de refermer une boucle totalement improbable. Une œuvre originale qui divisera fatalement, mais qui ravira probablement les fans de la première heure. Un exercice parfaitement maîtrisé, en très peu de temps finalement, un véritable coup de maître pour M. Night Shyamalan.


Glass, de M. Night Shyamalan (2018, 2h09). Avec James McAvoy, Bruce Willis, Samuel L. Jackson, Anya Taylor-Joy, Sarah Paulson, Spencer Treat Clark, Charlayne Woodard, Luke Kirby. Un film produit par Blinding Edge Pictures et Blumhouse Productions, distribué en France par The Walt Disney Company France. Sortie au cinéma le 16 janvier 2018. Crédits photos: The Walt Disney Company France – Tous droits réservés.

OncleGil