Dogman, une vie de chien selon Besson

Auteur, cinéaste, producteur, entrepreneur, Luc Besson a connu une ascension irrésistible après ses premiers succès cinématographiques hors-normes. En 12 ans (1985-1997), le réalisateur a pratiquement réalisé un sans fautes en enchaînant Subway, Le Grand Bleu, Nikita, Léon et Le Cinquième Élément. Mais d’un autre côté, il n’a pas convaincu avec Atlantis (1991), Jeanne d’Arc (1999) et sa série de films des années 2000 (Angel-A, Adèle Blanc-Sec, Malavita, Lucy, Valérian et Anna). Et son bilan en tant que producteur laisse un arrière-goût d’inachevé malgré des succès indéniables (les sagas Taxi, Le Transporteur et Taken, les films EuropaCorp des années 2000-2010). À 64 ans, après un long détour par les tribunaux pour des problèmes financiers et personnels, le prodige du cinéma français tente un ultime retour au premier plan et aborde le dernier chapitre de sa carrière. Avec Dogman, il abat donc une première carte à l’importance capitale.


L’œil du maître sur un acteur remarquable

Quand Luc Besson engage un acteur ou une actrice dans un rôle principal, il lui offre une tribune exceptionnelle. Dernier élu en date, Caleb Landry Jones est à l’écran dans la majorité des plans de Dogman et sous tous les angles, il a également de longs dialogues et se produit même debout sur la scène d’un cabaret malgré son handicap. Tout en enrichissant son personnage de nombreux flashbacks avec des jeunes acteurs pour incarner deux étapes distinctes de sa jeunesse, Luc Besson revient toujours à son acteur principal (dans sa confrontation avec Jojo T. Gibbs, psy travaillant pour la police, en fil rouge). Un art du montage compact et subtil, dynamique sans brusquerie, marque de fabrique du cinéaste. Un film dense, qui s’attarde sans traîner sur de nombreux détails, considérablement enrichi par la musique omniprésente d’Eric Serra, avec les emprunts de tubes classiques (Sweet dreams de Eurythmics, entre autres).

La patte Besson

Dénicheur de talents, Luc Besson a pour habitude de tirer le meilleur d’acteurs ou actrices du monde entier et a lancé de nombreux réalisateurs. Donnez-lui Jet Li, il lui fait visiter Paris, détruire les bateaux-mouches et sort Le baiser mortel du dragon (de Chris Nahon, 2001, 1h38), un polar sombre ponctué de scènes d’action dignes des films classiques de Bruce Lee et emprutant également à l’univers des jeux vidéo de baston (Renegade, Double Dragon, Tekken…). Donnez-lui Jason Statham, il l’emmène dans le sud de la France et crée Le transporteur (de Corey Yaen et Louis Leterrier, 2002, 1h32), devenu depuis une franchise au cinéma et une série.

Luc Besson, c’est aussi le réalisateur qui a valu un César à Anne Parillaud (Nikita, 1990, 1h57), une carrière internationale pour Jean Reno (Enzo dans Le Grand Bleu, 1988, 2h48 et Léon, 1994, 1h43), une renaissance pour Gary Oldman (indémodable Stansfield dans Léon, puis redoutable Zorg dans Le cinquième élément, 1997, 2h06), une carrière également pour Milla Jovovitch (Leeloo dans Le cinquième élément et Jeanne d’Arc, 1999, 2h40) et Natalie Portman (Léon). Donnez-lui 200 millions, il crée un univers de mille planètes (Valérian et la Cité des mille planètes, 2017, 2h17). Dès qu’il s’éloigne du fameux générateur de scénarios identifié par Mozinor (vidéo parodique à voir ici), Luc Besson fait des films spectaculaires, denses, émouvants avec une certaine profondeur. C’est une référence au cinéma.

Comme Jet Li et Jason Statham avant lui, Caleb Landry Jones n’est pas un acteur inconnu, mais Luc Besson lui offre son plus grand rôle en date. Beau-frère turbulent de Tom Cruise dans Barry Seal: American Traffic (de Doug Liman, 2017, 1h55), frère provocateur dans Get out (de Jordan Peele, 2017, 1h44), il était déjà remarqué en tant que « Hurleur » dans X-Men: le commencement (de Matthew Vaughn, 2011, 2h11). Bien sur, l’acteur texan d’à peine 33 ans a déjà connu une forme de consécration pour sa performance dans Nitram (de Justin Kurzel, 2022, 1h50), un film salué au Festival de Cannes mais peu vu en France (21123 entrées en 8 semaines d’exploitation). Avec Dogman, il a la chance de toucher enfin un large public en tant que tête d’affiche, avec une performance indiscutable. Après 6 mois de préparation, l’acteur a collaboré étroitement avec son réalisateur et les membres principaux du cast, une troupe de chiens accompagnés de leurs dresseurs, pour parvenir à faire fonctionner un projet insolite, compliqué, mais parfaitement cohérent et très visuel.

Une écriture soignée

Après des passages difficiles en termes de scénario, Luc Besson a pris sa plus belle plume pour écrire Dogman. Un titre indispensable emprunté à Matteo Garrone, réalisateur italien de Gomorra (2008, 2h15), auteur d’un autre Dogman (2018, 1h39) qui avait valu à Marcello Fonte le prix d’interprétation masculine au Festival de Cannes. Et pour cause, la raison est dans le film, à la fois poétique et visuelle, qui fait partie des coups de maître. Si l’esthétique générale et le thème ont pu faire penser à Joker (de Todd Philipps, 2019, 2h02), l’histoire imaginée par Luc Besson à partir d’un fait divers sordide sait se différencier largement aussi bien en termes d’ambiance que d’approche du personnage composé par Joaquim Phœnix, inadapté social qui s’enfonce dans la misère. Si le personnage ici se révèle par la performance scénique, il utilise le maquillage et les costumes non pas pour se faire remarquer, mais se fondre dans le décor, passer inaperçu, se faire oublier. Il ne cherche pas la lumière (sauf une fois par semaine en soirée pour payer les factures), il a renoncé à l’amour des humains et vit au milieu de ses plus fidèles compagnons de toujours, trouvant un équilibre même fragile avec son quartier et des solutions aux problèmes du quotidien. C’est une sorte de Robin des Bois urbain, plein de ressources, toujours positif malgré ses grandes difficultés. C’est un survivant.

Un retour gagnant

Dans un contexte difficile à titre personnel, Luc Besson repart à la conquête du public avec un film réussi mais une image en berne. Bénéficiant d’un non-lieu dans une affaire médiatisée, le réalisateur n’en ressort cependant pas gagnant – il se présente certes avec des états de service brillants à la réalisation, mais également avec un bilan financier contestable pour sa société de production EuropaCorp dont il n’est plus gestionnaire depuis 2020, des choix stratégiques qui font débat, un bilan humain plus que mitigé (son approche des femmes en milieu professionnel qui fait l’objet de plaintes, mais aussi des auteurs, son traitement expéditif de certains anciens collaborateurs et des méthodes de travail parfois discutables). Il est donc boycotté par une partie du public auprès duquel il aura bien du mal à revenir en grâce. Mais a-t-il le choix? Il lui reste quelques films à faire, il a du pain sur la planche, il est clairement motivé et capable, peut-être assiste-t-on à une renaissance? Et à terme, une rédemption?


Dogman de Luc Besson (1h54, 2023). Avec Calb landry Jones, Jojo T. Gibbs, Christopher Denham, Grace Palma, Clemens Schick, John Charles Aguilar, Marisa Berenson, Lincoln Powell, Alexander Settineri, Iris Bry. Un film produit par LBP en coproduction avec TF1 Films Production et EuropaCorp, distribué en France par EuropaCorp Distribution et Apollo Films et à l’international par Kinology. Le film est sorti en France le 27 septembre 2023. Crédits photos: Shanna Besson ©2023-LBP-EuropaCorp-TF1 Films Production, tous droits réservés.

OncleGil

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