Quand Lafitte incarne Tapie
C’était inévitable. Laurent Lafitte, acteur de cinéma passé par la Comédie Française, auteur d’un premier film en tant que réalisateur au cinéma (L’origine du monde, 2020, 1h38), était à la recherche d’un rôle majeur. Et quelqu’un devait tôt ou tard s’attaquer au mythe Bernard Tapie, la star française des années 80, toutes catégories confondues. Netflix a réuni les deux hommes dans une mini-série ambitieuse, captivante, d’à peine 7 épisodes, sous la gouverne de Tristant Séguéla et de son co-scénariste, Olivier Demangel. L’équivalent d’une trilogie cinématographique, disponible dès maintenant sur Netflix.
Une genèse compliquée, un créateur encore plus déterminé
Au départ du projet, il y a le refus de Bernard Tapie en personne, qui se comprend très bien. Héros de sa propre vie, il n’avait aucun intérêt à voir naître une pâle copie de lui-même, un autre visage, qui ne pourrait jamais lui ressembler totalement et risquerait d’affaiblir le souvenir de l’homme exceptionnel qu’il a été jusqu’au bout de sa vie. Mais face à ce refus, Tristan Séguéla a imité son modèle: il ne s’est pas laissé impressionner, est allé au bout de son idée et a fait son travail de dramaturge. Résultat, une mini-série captivante de bout en bout, qui n’a pas d’autre prétention que d’évoquer Bernard Tapie et d’emmener le spectateur à ses côtés dans une vie mouvementée. Ce n’est pas la série de la famille Tapie mais un travail indépendant. Et à la différence d’un documentaire qui écrasera le spectateur par l’aspect monumental de son sujet et la précision des détails, c’est un travail de sensibilité, de proximité et d’émotions.
Un rôle sur mesure (ou presque) pour Lafitte
Pour un comédien de la stature de Laurent Lafitte, le défi est de trouver un rôle à sa mesure, voire un rôle trop grand, qui le tire vers le haut. Le personnage unique de Bernard Tapie est dans cette catégorie. Homme d’affaires et communiquant hors-normes, sur-médiatisé plusieurs décennies avant les réseaux sociaux, Bernard Tapie a toujours su créer l’événement. C’est d’ailleurs ce qui l’a amené en politique – un tel charisme a fasciné en haut lieu. Laurent Lafitte a trouvé le moyen de se fondre totalement dans la peau de cet homme fascinant, notamment grâce aux décors et aux costumes d’époque incroyables, ainsi que les perruques et globalement le stylisme impeccable de la série. On s’y croit vraiment.
Un casting excellent
Dans le premier épisode, Fabrice Luchini donne vie à un personnage plus grand que nature, encore plus impressionnant que Tapie lui-même, encore à ses débuts. Puis arrive Antoine Reinartz, en avocat pressé, trop occupé pour recevoir Tapie, puis intrigué et finalement conquis. Le jeune acteur en impose, il est très convaincant et si on reconnait sa voix et son visage, pour l’avoir vu dans plusieurs films, son jeu est encore différent. Et au fil de la série, on découvre des personnages de plus en plus forts, à mesure que la fiction rejoint la réalité plus connue du grand public. On retrouve ainsi un Goetals plus vrai que nature, un Bernès étonnant, et le père de Bernard Tapie (Patrick D’Assumçao), qui passe un peu par toutes les couleurs, devient vraiment touchant.
Même si elle a un rôle plus actif dans la fiction que dans la réalité, la femme de Bernard Tapie est un personnage essentiel qui nécessitait une présence particulière. À 29 ans, Joséphine Japy est une actrice de cinéma accomplie. On l’a vue dernièrement avec Jean Dujardin dans l’adaptation du roman de Sylvain Tesson, Sur les chemins noirs (de Denis Imbert, 2023, 1h35). Elle avait fait forte impression avec François Civil dans Mon inconnue (d’Hugo Gélin, 2019, 1h58) et avait incarné en tête d’affiche Eugénie Grandet (de Marc Dugain, 2021, 1h45) face à Olivier Gourmet. Solaire et subtile, sa personnalité s’affirme à chaque étape de l’ascension de son mari.
Une série aussi ambitieuse que son sujet
Une série pour qui, pour quoi? Un documentaire sérieux et documenté avec toutes les archives disponibles lui rendra certainement bien plus justice que n’importe quelle fiction. Et d’ailleurs, la famille n’a pas manqué de réagir à la sortie annoncée de la mini-série, dont la partie fictionnelle ne leur convient pas du tout. En s’attaquant au mythe Tapie, des origines au sommet, avec toutes ses difficultés, en à peine sept épisodes, il fallait du courage et un bon esprit de synthèse. Il y a donc des ellipses, des raccourcis, mais chaque étape est aussi passionnante que les autres. Quand on réalise qu’il ne s’agit pas de flashbacks, mais que l’histoire avance et ne reviendra plus en arrière, c’est presque dommage. On s’installe bien dans chaque époque de la vie de Bernard Tapie.
Voir Tapie, une série Netflix.
Tapie de Tristan Séguéla (6h15, 7 épisodes, 2023). Avec Laurent Lafitte, Joséphine Japy, Antoine Reinartz, Patrick d’Assumçao, Camille Chamoux, Hakim Jemili, Julien Frison, Alexia Giordano, Ophélia Kolb. Une mini-série film produite par Netflix, disponible intégralement dès le 13 septembre 2023. Crédits photos: ©2023 Netflix.