Guillaume Canet propose son Astérix au cinéma

Gilles Lellouche (Obélix) et Guillaume Canet (Astérix). ©2023 Christophe Brachet

L’adaptation d’univers de bande-dessinée au cinéma est un projet complexe qui pose de nombreuses questions. Même si Marvel et DC ont apporté des réponses intéressantes avec parfois des films très réussis et très bien accueillis aussi bien par la critique que par le grand public (Avengers, Loki, Joker, The Batman), on n’est jamais à l’abri d’un flop, d’un bide ou de critiques (Scorsese et les parcs d’attraction). Tout repose encore sur un équilibre fragile – DC est actuellement en pleine restructuration de son univers cinématographique sous la gouverne de James Gunn. Astérix, en France, c’est un microcosme en soi, avec des hauts record (Astérix et Obélix: Mission Cléopâtre, le must d’Alain Chabat) et des suites mitigées voire catastrophiques (Astérix aux Jeux Olympiques, malgré un casting ambitieux et un budget pharaonique). Était-on prêt à accueillir Guillaume Canet à la direction de cet univers? Que réserve donc cette cinquième version d’Astérix au cinéma?


Un pari osé

Il fallait bien quelqu’un pour reprendre le flambeau après déjà 4 films, dont l’incontournable Chabat qui n’a pas pris une ride en 20 ans (xx spectateurs sur TF1 le dimanche précédant la sortie du nouveau film).

Vous auriez vu qui en Astérix ? Après Christian Clavier, Clovis Cornillac et Edouard Baer, qui pouvait (et pourra) le mieux incarner Astérix au cinéma ? C’est Jérôme Seydoux qui aurait tranché, en proposant à Guillaume Canet d’endosser lui-même le rôle, mais l’envie devait bien couver depuis quelque temps chez le réalisateur. C’est fait, Guillaume Canet a pris le taureau par les cornes, il est donc Astérix. Et il a plus d’un tour dans son sac.

Les atouts majeurs – M, Vincent Cassel, Marion Cotillard et Gilles Lellouche

Une musique recherchée. Depuis Ne le dis à personne, qui a valu un César au musicien pour sa toute première composition, la collaboration Canet/-M- fait des merveilles. Réécoutez la bande originale de ce film, c’est une mine d’or, pleine de pépites. Les temps forts du film, particulièrement riche en émotions, en drame, en retrouvailles, sont incroyablement sublimés par l’inspiration musicale de Matthieu Chedid. C’est un atout considérable pour le nouvel Astérix, qui pose son ambiance originale, avec des thèmes récurrents très réussis (le thème principal sifflé, présenté dans le titre #4, Le village Gaulois). Il se permet des emprunts et comme son nom l’indique, des remixes, notamment une reprise du thème d’Ennio Morricone The Ecstasy of Gold avec Nach au chant (titre #43 de la BO), mais également un thème à la croisée entre les Dropkick Murphys (I’m shipping up to Boston) et Hans Zimmer (Pirates des Caraïbes) (Potion Magique, titre #21 de la BO). Du punch tantôt acoustique, tantôt électrique, tantôt symphonique, pour appuyer l’action du film dans une ambiance à la fois western et eastern – un accord parfait entre la France gauloise, le western spaghetti et la Chine.

Vincent Cassel (Jules César). ©2023 Christophe Brachet

Un César sur mesure. Charismatique et élancé, Vincent Cassel traverse tout le film avec une aisance déconcertante, un grand rôle parfaitement maîtrisé. Il est espiègle, coléreux, redoutable, alternant son rôle d’empereur et ses histoires de couple, passant de la chambre au champ de bataille et de la Gaulle à la Chine avec le même aplomb, souvent une évidente condescendance. Expressif, élancé mais un peu frêle, il correspond parfaitement au César de la bande-dessinée. C’est l’un des plus grands acteurs français en exercice, il se fond totalement dans le personnage du plus célèbre des empereurs avec ses tuniques, ses lauriers et son humour parfois lourdingue et condescendant, comme un monarque grisé par les nombreuses victoires qui s’oublie, trahissant sous son aplomb apparent de véritables complexes. Fidèle à la BD, il affiche son pouvoir démesuré mais bute sur des difficultés du quotidien, dans son couple et dans la diplomatie.

Une Cléopâtre marquante. Marion Cotillard est une grande actrice, qui a ses entrées à Hollywood (Public Ennemies, Inception, The Dark Knight Rises, Alliés…) et a tourné pour les plus grands réalisateurs au monde (Leos Carax, Arnaud Desplechin, Xavier Dolan, les frères Dardenne…). C’est la première actrice à recevoir à la fois un César, un Bafta, un Golden Globe et un César pour le même rôle (La Môme d’Olivier Dahan, 2007, 2h20). Mais elle n’a pas besoin de beaucoup de temps à l’écran pour convaincre, elle cède donc la place à tous les autres. Elle a trouvé ici le rire agaçant parfait, poussant immédiatement son mari à bout, ce qui le précipite dans son périple chinois. Elle joue également un autre rôle, mais c’est à vous de la trouver.

Un Obélix étonnant. Qui eût cru que Gilles Lellouche aurait les épaules pour remplacer Gérard Depardieu dans la peau d’Obélix, un personnage bedonnant et imposant iconique de la bande dessinée? C’est l’atout majeur du film, un acteur qui joue plus grand et plus large que son physique, qui reste très loin du compte malgré les 20 kilos supplémentaires… mais ça fonctionne parfaitement. Expressif, juste, Gilles Lellouche propose un Obélix attachant, coléreux et gamin, sûr de sa force, qui colle remarquablement au personnage. Une prouesse vraiment étonnante, qui confirme le grand talent d’un acteur très occupé au cinéma (Bac Nord, Goliath, Kompromat, Fumer fait tousser).

Marion Cotillard (Cléopâtre). ©2023 Christophe Brachet

Les jokers de luxe – Ramzy Bédia, Jonathan Coen, José Garcia et Vincent Desagnat

Ramzy Bédia incarne Epidemaïs (ou Epidemaïx), entrepreneur spécialisé dans le commerce auprès des consommateurs chinois, très friands de produits gaulois. Grand acteur rompu à tous les exercices, excellent dans les rôles les plus dramatiques (Terminal Sud de Rabah Ameur-Zaïmeche, 2019, 1h36), il est actuellement à l’affiche d’une comédie dramatique très réussie, Youssef Salem a du succès (de Baya Kasmi, 2023, 1h37). Il passe facilement du sérieux à l’humour, donnant au personnage à la fois du ridicule mais une dimension très sérieuse – il défend âprement sa réputation de négociateur, sa position de commerçant international et se met immédiatement au service de l’Impératrice. C’est donc une sorte d’espion, capable de faire ses affaires mais également d’agir pour une grande cause, qui pourrait lui assurer un avantage commercial considérable à l’avenir. Encore une fois, un rôle plus complexe qu’il n’y paraît. C’est d’ailleurs lui qui charge Graindemaïs (ou Graindemaïx), son neveu, d’assurer la sécurité de la princesse et d’aller demander l’aide d’Astérix.

José Garcia est le script galicien Biopix, dont chaque intervention a le don de faire réagir le public.

Vincent Desagnat est une très belle surprise de ce film, au prix d’un sacrifice personnel conséquent – il est rasé intégralement, cheveux-barbe-sourcils, et colle parfaitement au personnage du conspirateur. Très barbu et chevelu dans Fatal (2010, 1h35) aux côtés de Michaël Youn, Desagnat a tenté l’inverse et réussi une belle transformation. Comme beaucoup, il aurait mérité une activité plus soutenue dans le film (sa propre intrigue?).

Les guests de choc – Florent Manaudou, Zlatan Ibrahimovitch, Angèle, Ragnar et Orelsan

Comme avec Johnny dans Rock’n’roll, Guillaume Canet a très bien su employer ses invités de marque. Zlatan Ibrahimovitch est Antivirus, le bras droit de César, guerrier ultime qui marque dans des séquences de combat puissantes. Orelsan trouve un rôle à sa mesure, un pilote à la fois cool et majestueux, un peu canaille, qui a le mérite d’avoir la flemme efficace, à mi-chemin entre Han Solo et Jack Sparrow. Florent Manaudou apporte une présence parfaitement olympique dans une scène simple, mais efficace. Ragnar le breton passe en coup de vent pour administrer des baffes, en tant que légionnaire romain, il est donc parfaitement dans le thème et sa stature se remarque – ce grand gaillard a un potentiel cinématographique évident, il aurait cependant mérité une intervention plus conséquente, à l’image d’Angèle, qui incarne Falbala, la plus jolie femme du village, en pointillés.

Bun-Hay Mean (Deng Tsin Qin) et Manu Payet (Ri Qi Qi).©2023 Christophe Brachet

Les révélations – Leanna Chea, Bun-Hay Mean, Manu Payet et Pierre Richard

Peut-être la plus belle révélation du film, l’actrice Leanna Chea, une femme d’action charismatique, a effectué elle-même la majorité de ses cascades. C’est une combattante exceptionnelle, flamboyante,

Manu Payet, confirme tranquillement. Véritable vétéran à la scène, à la radio et devant les caméras de télévision (dans la série Kaamelott) et de cinéma, l’acteur qui vieillit prématurément, selon ses propres dires, affiche ici une sérénité étonnante. Il seconde parfaitement un autre humoriste, Bun-Hay Mean, qui campe un personnage puissant et inquiétant.

Pierre Richard s’illustre comme le meilleur Panoramix de la saga au cinéma – il a le ton juste, l’aspect parfait – la coiffure et le maquillage lui ajoutant quelques années bienvenues, on retrouve bien le druide inconique de la bande dessinée. L’acteur mythique du cinéma français se fond parfaitement dans le personnage, dont il partage une certaine espièglerie.

Il y a enfin une multitude de petits rôles impactants comme Youssef Sahraoui, homme carré et imposant vu dans 30 jours max et La daronne, mais également dans un registre un peu trop sobre, Thomas VDB et Marc Fraize en légionnaires romains égarés, Franck Gastambide en Barbe Rouge, chef des pirates, accompagné de l’incontournable guet Issa Doumbia (Baba)… des rôles brefs qui auraient mérité plus d’efficacité (on ne parle même pas de McFly et Carlito, de passage).

Un Astérix à la croisée des chemins

Pas facile de passer après Alain Chabat, Jamel Debbouze et Edouard Baer, qui ont indéniablement marqué de leur empreinte la saga Astérix au cinéma. Cinéaste et acteur connu pour des comédies plus dramatiques que franchement comiques, Guillaume Canet livre un film d’aventure qui a la double mission de faire revenir le public dans les salles de cinéma et, à la demande des ayant-droits, de coller davantage à la bande-dessinée originale. Obligé de se détacher de Chabat (souvent imité mais jamais égalé), de composer un Astérix et un Obélix qui ne ressemblent pas à des pauvres copies de Christian Clavier et Gérard Depardieu, l’acteur-réalisateur a trouvé son propre Astérix. Après des grands succès au cinéma (Ne le dis à personne, Les petits mouchoirs et Nous finirons ensemble) mais également des exercices ambitieux et pas toujours bien reçus par le public (Blood Ties, Rock’N’Roll et Lui), Guillaume Canet ne parviendra vraisemblablement pas à faire l’unanimité avec cette mission périlleuse, voire impossible. Mais il aura tout tenté, à sa manière, réalisant un Astérix original, cohérent et à grand spectacle, fidèle à la bande-dessinée de Goscinny et Uderzo, qui peut rallier une partie du grand public. Un film très plaisant pour les lecteurs de la première heure.


Astérix et Obélix: L’empire du milieu de Guillaume Canet (2023, 1h51). Avec Guillaume Canet, Gilles Lellouche, Vincent Cassel, Jonathan Cohen, Marion Cotillard, Julie Chen, Leanna Chea, José Garcia, Manu Payet, Ramzy Bedia, Bun-Hay Mean, Linh-Dan Pham, Tran Vu Tran, Zlatan Ibrahimović, Pierre Richard, Philippe Katerine, Jérôme Commandeur, Audrey Lamy, Franck Gastambide, Vincent Desagnat, Orelsan, Laura Felpin, Issa Doumbia, Thomas VDB, Marc Fraize, Bigflo, Oli, Carlito, Mcfly, Yann Papin, Angèle, M, Chicandier et Gérard Darmon. Un film produit par Pathé, Trésor Films, Les Enfants Terribles et Les Éditions Albert René, en coproduction avec TF1 Films Production, distribué par Pathé en France et à l’international. Le film est sorti au cinéma le 1er février 2023.

OncleGil

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