Un Tenet vaut mieux que 2 tu l’auras pas…

Un auteur original qui sait se réinventer, c’est déjà bien. Quand il évolue aux confins du cinéma, à la pointe, c’est encore mieux. Christopher Nolan conçoit ses films d’une manière vraiment géniale, à la fois graphiquement, en termes d’action, de mise en scène, et d’idées. Tout est lié. Ambitieux, il tente des choses très compliquées mais ne perd jamais le nord, ni l’émotion, en pensant constamment au spectateur. Ses films sont donc limpides et élégants, même si on ne comprend pas toujours tout immédiatement du fait des différents niveaux de lecture, il y a suffisamment d’infos évidentes pour ne jamais perdre vraiment le fil. Et ce n’est pas un hasard. Très attendu, Tenet, son blockbuster de l’été pourrait effectivement remplir une mission difficile, sauver le cinéma du marasme lié au Covid. C’est le bon film au bon moment, à voir au cinéma absolument, pour le très grand écran et le très gros son.


Un cinéaste équilibriste exigeant

Quand on parcourt sa filmographie, de Memento (2000, 2h) à Inception (2010, 2h42), en passant par Le prestige (2006, 2h10), on remarque plusieurs choses: un casting très soigné, avec des apparitions de légende (David Bowie en Nikola Tesla, Michael Caine en fil rouge qui apporte une dimension au personnage d’Alfred dans la trilogie Batman); un sens du spectacle unique; et un art de la mise en scène consommé. Auteur-cinéaste très précis, Christopher Nolan a un savoir-faire unique au cinéma, il sait exactement ce qu’il faut faire pour capter l’attention du spectateur, l’emmener où il veut en le faisant réfléchir, même dans un film d’action au rythme trépidant. Il fait appel à tous les sens, il oriente, désoriente, en racontant une histoire que lui seul peut raconter, avec tous les moyens possibles et imaginables, faisant inexorablement avancer l’industrie du cinéma avec les plus belles caméras, les plus beaux effets, ne recourant au numérique que lorsque les techniques réelles ne suffisent plus. Amoureux de la prise de vue réelle, attaché à la pellicule 70mm, il maîtrise tous les aspects de la fabrication de ses films, ce qui donne au metteur en scène un aplomb inégalé face aux meilleurs acteurs de la profession. Un authentique génie en exercice, qui sait parfaitement s’entourer à tous les postes, et qui a la confiance de ses producteurs – une confiance renouvelée à chaque succès planétaire.

Une distribution à la hauteur

Révélé dans la série Ballers, puis dans BLACKkKLANSMAN de Spike Lee (2018, 2h16), John David Washington est parfait dans le rôle du super agent secret. On attendait un James Bond noir, ce n’est plus la peine. Il est déjà arrivé. Flanqué d’un flegmatique et imperturbable acolyte, Robert Pattinson (Good Time, The lighthouse, Cosmopolis, Twilight et prochainement The Batman), il forme un duo de choc idéal, à la fois crédible et profond. Des acteurs complets au service d’un récit riche et complexe, où l’action n’empêche pas l’émotion, bien réelle, palpable. C’est la clé. L’autre atout maître du film, c’est Kenneth Branagh, un acteur bien connu qui était déjà dans le dernier Nolan, Dunkirk (2017, 1h46), et qui signe encore une prestation unique. Mis au défi par son metteur en scène, l’acteur montre ici un nouveau visage terrifiant, un authentique méchant totalement imprévisible.

Un film qui se tient

La signature Nolan, c’est son goût prononcé du concept à la fois intelligent et visuel. Un point de départ original et longuement réfléchi pour un film à grand spectacle qui stimule à la fois l’esprit et le corps, une immersion totale dans une aventure palpitante, délirante et parfaitement logique, car ancrée solidement dans le réel. L’auteur se permet donc toutes les extravagances possibles, mais toujours dans un cadre irréprochable, avec une construction très précise. Une longue et tortueuse partie d’échec où rien, absolument rien, n’est laissé au hasard. Et si c’était un exercice creux, juste pour épater la galerie et faire parler de lui, on serait les premiers à le relever et à le critiquer – il n’y a rien de pire qu’un artiste qui s’oublie. Dans Tenet, comme dans la plupart de ses films précédents, c’est utile au récit, chaque étape est nécessaire, il n’y a pas de redites ou de gras, que du muscle. C’est un ensemble qui se tient, parfaitement justifié. Et si le film est long (2h31), c’est parce que l’histoire prend du temps à raconter. L’auteur ne nous libère que lorsqu’il a fini. Et ça passe très vite!

L’intelligence supérieure, mais pas hautaine

En animant son histoire pour le cinéma (car le concept sur le papier est bien joli, mais il faut que ça fonctionne à l’écran et surtout dans l’esprit du spectateur), Nolan innove constamment et prend d’énormes risques. Il joue avec les formes et les personnages selon des principes qui rappellent les expérimentations de Michel Gondry, notamment dans Soyez sympa rembobinez (2008, 1h42). Il utilise des procédés qui pourraient parfaitement rendre l’expérience totalement ridicule. Et c’est là son génie de cinéaste: le résultat est magnifique et exaltant. Un délire totalement maîtrisé. Enfin, et c’est là son meilleur atout, malgré la complexité de l’histoire et des concepts en jeu, le réalisateur use de tous les stratagèmes, plans, trucs, pour ne surtout pas perdre le spectateur. Même si on ne comprend pas exactement tout sur tout dès la première lecture, si on s’accroche un minimum, on n’est jamais largué. Il y a toujours un mot ou une image qui fait sens et qui plait. Comme quand on lit une bande-dessinée, si on est un peu flemmard, on peut tourner les pages et suivre l’histoire juste en regardant les images et sans trop réfléchir, ça coule presque de source. Bien sur, à la deuxième lecture, on comprendra mieux, on réalisera certaines choses en ayant désormais un aperçu de l’ensemble, et on pourra étudier l’œuvre à l’envi. Les films de Nolan sont à revoir, même juste pour le plaisir, car on ne s’y ennuie pas. Mais on peut aussi parfaitement sortir de la toute première séance avec la satisfaction d’avoir globalement bien compris, car dans les grandes lignes, tout est clairement expliqué ou au moins suggéré. L’auteur est poli, il ne se moque pas de nous. Il aime ses spectateurs. Et par bonheur, à tout juste 50 ans, il n’a pas fini de nous surprendre.


Tenet (de Christopher Nolan, 2020, 2h30). Avec John David Washington, Robert Pattinson, Elizabeth Debicki, Dimple Kapadia, Aaron Taylor-Johnson, Himesh Patel, Clémence Poésy, Michael Caine, Kenneth Branagh, Martin Donovan. Un film produit par Syncopy et Warner Bros. Pictures, distribué en France par Warner Bros. France. Au cinéma le 26 août 2020. Crédits photos: Warner – Tous droits réservés.

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