Vice, l’hallucinant

Si vous êtes familier avec le travail d’Adam McKay, notamment pour son dernier film The Big Short (2015, 2h11), Oscar du meilleur scénario en 2016, vous savez que la limite entre documentaire et fiction au cinéma peut être très mince. Avec Vice, cette limite s’estompe tellement, c’est presque dérangeant. Une expérience de cinéma très particulière.


Rarement un biopic aura été aussi précis dans les détails et la similitude entre l’intégralité du casting et la réalité. C’est d’autant plus flagrant qu’ils incarnent des figures emblématiques d’une actualité toute récente, des personnalités de la vie politique américaine qui ont été au cœur de l’actualité, que l’on connait parfaitement pour les avoir vus en boucle sur CNN et dans tous les journaux, sur tous les sites internet du monde entier.

Un casting de stars transformistes

Méconnaissable en interviews en marge du tournage, il y a quelques mois, Christian Bale expliquait que ce qu’on voyait de lui à ce moment-là, sans maquillage ni perruque, avec ses kilos supplémentaires et sans cheveux, c’était la toile vierge sur laquelle le réalisateur Adam McKay créait son personnage. Il ne ressemblait donc à rien, concrètement, ni au véritable Christian Bale, ni à son personnage à l’écran, Dick Cheney. C’était la base, comme une pâte à pizza sans tomate ni fromage. L’acteur cru, nu, fade. On ne pouvait pas comprendre, mais le résultat à l’écran dépasse tout.

En effet, dans le film, les versions abouties de Christian Bale incarnant Dick Cheney sont saisissantes. On parle bien de plusieurs versions, car il y a non seulement celle de l’affiche, le vieil homme dégarni et obèse au sommet du pouvoir, en tant que vice-président des États-Unis sous l’ère George W. Bush (2000-2008) aux fonctions bien plus étendues que de coutume. Mais il y a également toutes les étapes qui ont précédé, jusqu’à la présidence Nixon, dans les années 70. Et encore avant… Christian Bale disparait totalement sous les traits de son personnage, quelle que soit la période. Une performance de haut vol.

Et c’est la même chose pour tout le cast. Amy Adams (son épouse Lynn), Steve Carell (Donald Rumsfeld, son mentor) et Sam Rockwell (George W. Bush, son colistier), subissent le même traitement pour coller aux différentes époques avec un réalisme et un souci du détail proprement hallucinants.

L’actrice LisaGay Hamilton, que l’on suit depuis son apparition dans Jackie Brown sous les traits de Sheronda, aperçue récemment dans House of Cards, est confondante en Condoleeza Rice. Tout comme Tyler Perry (Gone Girl, Star Trek, Alex Cross) en Colin Powell.

Et c’est là qu’entre en scène Steve Carell. Technicien de génie, c’était le partenaire idéal pour compléter un Christian Bale au sommet de son art. Si on vous dit qu’il vient de la comédie (40 ans toujours puceau ou Bruce tout-puissant) comme s’il avait été gentil comique avant de devenir grand acteur dans des films plus sérieux (My beautiful boy, 2019, de Felix Van Groeningen), c’est faux. Technique, il l’a toujours été. Il suffit de regarder les prises alternatives dans le « bétisier » de Bruce tout-puissant pour constater son incroyable talent, une finesse de jeu et un art de faire rire ses collègues non pas par ses pitreries, mais précisément par sa capacité à tenir son sérieux juste après avoir fait une mimique ridicule. Un artiste exceptionnel.

Si Adam McKay a réuni un tel ensemble, c’est bien pour raconter une histoire incroyable. Celle d’un homme qui a su exploiter les failles du système américain pour s’approprier un maximum de pouvoir sans jamais avoir été élu, profitant notamment des faiblesses d’un Président très contesté. Pendant que Michael Moore s’obstinait à dénoncer l’épouvantail Bush, c’est l’homme caché juste derrière lui, le vice-président au rôle traditionnellement anecdotique, qui tirait les ficelles. Un énorme canular, tellement énorme que personne ne s’en est aperçu; une histoire grave, hallucinante, dérangeante, rendue digeste et même très divertissante par un auteur de génie.

Après The big short, un festival de révélations distillées avec pédagogie et style (on retient l’explication de Margot Robbie dans un bain moussant sirotant une flute de Champagne) mettant en scène essentiellement des inconnus ayant joué un rôle déterminant dans la crise des subprimes, Adam McKay dévoile en détails une conspiration au sein même du gouvernement américain, impliquant les visages les plus connus au monde à l’époque – George W. Bush, Dick Cheney et Colin Powell, les hommes qui ont déclaré la guerre à l’Irak et l’Afghanistan à l’aide d’habiles présentations powerpoint fondées notamment sur la menace d’armes de destruction massive fictives.

Un film pertinent, nécessaire et captivant, présenté à Paris par Adam McKay et Amy Adams en avant-première au cinéma Gaumont Opéra, au cours d’une tournée européenne (voir vidéo ci-dessous). Une œuvre unique qui devrait faire grand bruit à sa sortie, le 13 février.


Vice, d’Adam McKay (2019, 2h12). Avec Christian Bale, Amy Adams, Steve Carell, Sam Rockwell, Tyler Perry, Eddie Marsan, Jesse Plemons, LisaGay Hamilton. Un film produit par Plan B, Gary Sanchez Productions et Annapurna Pictures, distribué en France par Mars Films. Sortie au cinéma le 13 février 2019. Crédits photos: Mars Films – Tous droits réservés.

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