Sparring: Papa Kasso à l’assault

La boxe au cinéma, c’est une belle histoire d’amour, avec des moments de gloire intense (la carrière de Rocky Balboa en 6 actes), des moments de doute (La Rage au ventre, d’Antoine Fuqua, 2015), et des sérieuses désillusions. Spectaculaire, le noble art est souvent mis en scène de manière fantasmée, avec des héros très grands et des méchants très méchants, un milieu douteux, du sang et des larmes. Avec Sparring, Samuel Jouy propose une histoire simple et vraie, qui se déroule dans le milieu de la boxe, mais qui commence surtout dans une famille, aux antipodes des clichés du genre. Un grand moment de cinéma.

Un boxeur qui ne lâche rien

En se lançant dans la boxe à titre personnel, pour aborder la suite de sa vie sans s’encrouter dans un confort matériel acquis, Mathieu Kassovitz a pris le projet de Samuel Jouy à bras le corps, proposant une approche inédite pour un acteur, choisissant la voie la plus dure. Au lieu de mimer des scènes chorégraphiées, comme cela se fait traditionnellement au cinéma, l’acteur a réellement appris à boxer en s’entrainant avec celui qui est devenu son partenaire de jeu, Souleymane M’Baye. Les combats sont donc de la boxe réelle, avec des coups portés, non sans retenue bien sur (l’avantage d’avoir affaire à un authentique champion encore en exercice au moment du tournage) et . Une expérience forte, bien réelle, après des essais non concluants avec un autre acteur, l’aventure s’étant révélée trop dangereuse. Un défi pour l’équipe de tournage, chargée de prendre à la volée ce que les boxeurs produisaient sur le ring, qui fonctionne particulièrement bien à l’écran.

La performance de Mathieu Kassovitz est singulière. Il s’agit non seulement d’incarner un boxeur pro, mais pas vraiment doué, plutôt besogneux, pataud, à la limite de la retraite, mais que la pugnacité et la passion maintiennent tant bien que mal dans le ring. Une composition remarquable.

Un champion déchu

L’autre personnage majeur du film, c’est Tarek M’Barek, ancien champion qui remonte sur le ring après une défaite par KO. Pour sa préparation, il utilise des sparrings, une opportunité que Steve ne peut pas laisser passer, quitte à forcer un peu sa chance. Un combattant très au-dessus du lot, qui pourrait ne pas avoir de considération pour un assistant bien mal en point, à l’opposé en tous points, aussi bien dans le style que dans la carrière. Boxeur de très haut niveau, Souleymane M’Baye passe à l’écran le plus naturellement du monde, aussi affuté dans sa boxe que dans ses répliques, avec une attitude juste et une présence indiscutable. Un début de carrière en fanfare, une reconversion prometteuse.

C’est tout le miracle de ce film, où acteurs et boxeurs de métier ont fait chacun le chemin vers l’autre monde, réussissant ensemble là où d’autres ont laissé des plumes. Une préparation réussie, une rencontre déterminante qui a permis à Papa Kasso de monter pour la première fois de sa vie sur un ring, à Deauville (en juin 2017) au moment même où Souleymane M’Baye concluait sa carrière professionnelle, la tête haute. Une belle histoire!

Une famille attachante

Dans la famille Balboa, on connaissait Adrian, l’épouse à la vie difficile qui recueille son mari à la petite cuillère à l’issue de rencontres sanglantes. Le terrain était donc parsemé d’embûches, propice au cliché (l’écueil du film de Fuqua, tendance mélodrame). C’est justement avec subtilité et inspiration que Samuel Jouy a construit la famille de Steve, le boxeur sans génie mais vaillant, le professionnel qui assume pleinement son rôle de faire-valoir, et qui cherche à mener sa barque contre vents et marées. Il s’accroche, tant bien que mal, car il fait vivre sa famille, permet à sa fille de vivre sa passion, il filoute, triche avec sa santé, obtient un improbable job de sparring en ignorant les refus, bref, il se bat continuellement et essaie de rester lucide. Il n’a pas l’œil du tigre, mais il a l’œil sur l’objectif.

La relation de confiance mutuelle est fondamentale, avec deux actrices particulièrement justes et touchantes dans le rôle de l’épouse, Marion (Olivia Merilahti) et de la fille aînée, Aurore (Billie Blain). Une mise en scène sobre, des moments de vie sincères, réels, qui donnent une crédibilité palpable à toute l’histoire. Des personnages que l’on a l’impression de suivre dans leur quotidien, comme dans un documentaire. On y croit totalement.

Premier film de Samuel Jouy, Sparring n’est pas un film de boxe classique, mais un regard inédit sur un ouvrier de ce sport, sa vie, ses difficultés, sa détermination, et un champion déstabilisé qui s’apprête à retrouver les sommets. Un pari osé, une histoire passionnante, un film neuf où l’on évite les clichés d’un genre pourtant largement exploré au cinéma. On a donc le plaisir de vivre une histoire originale et authentique dans un milieu familier, avec des thèmes forts et des images magnifiques. Un grand film, qui sonne juste, porté par des comédiens au top. À voir et à revoir, actuellement en salles.


Sparring, de Samuel Jouy (2018, 1h34). Avec Mathieu KassovitzSouleymane M’Baye, Olivia Merilahti, Billie Blain, Lyes Salem, Ali Labidi.
Une production EuropaCorp, distribuée en France par EuropaCorp Distribution.
Sortie au cinéma le 31 janvier 2018.

OncleGil