Autant en emporte le Rex

Alors que les cinémas s’apprêtent à rouvir leurs portes le lundi 22 juin 2020 après quatre mois de fermeture générale dans le cadre du confinement en France et un peu partout dans le monde en réponse à la pandémie du virus Covid-19, le Grand Rex annonçait une programmation événement qui semblait faire l’unanimité. Projections de grand succès du cinéma contemporain en Grand large chaque soir, marathons et soirées thématiques, une semaine consacrée à l’œuvre de Steven Spielberg, tous les weekends de l’été réservés aux plus grandes sagas du cinéma. Et soudain, la polémique arriva.


Le programme du Grand Rex du 22 au 28 juin 2020 – Grande Salle

Lundi 22 juin 2020 – Casino (VOST) 17h30 – Gladiator (VOST) 21h15
Mardi 23 juin 2020 – Avengers (VOST) 16h30 – Les Évadés (VOST) 20h45
Mercredi 24 juin 2020 – Avengers (VF) 14h15 – Blade Runner 18h15 (VOST) – Blade Runner 2049 (VOST) 21h00
Jeudi 25 juin 2020 – Terminator (VOST) 18h45 – Terminator 2 (VOST) 21h15
Vendredi 26 juin 2020 – Lawrence d’Arabie (VOST) 20h00
Samedi 27 juin 2020 – Trilogie Le Seigneur des Anneaux (VOST) 9h45
Dimanche 28 juin 2020 – Trilogie Le Hobbit (VOST) 14h00

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Autant en emporte le vent, classique qui pose question

Le 23 juin, devait être projeté un grand classique du cinéma en version restaurée 4K. Mais suite aux événements des dernières semaines aux États-Unis, à la suite de la mort inexplicable de George Floyd lors de son arrestation par des agents de police de Minneapolis, provoquant un mouvement en profondeur non seulement aux États-Unis, mais dans le monde entier, de prise de conscience à la fois des violences policières et de la problématique toujours non résolue de la discrimination raciale, symbolisée par le slogan tristement important et nécessaire #blacklivesmatter, la Warner a pris ses responsabilités de producteur, distributeur et diffuseur de films en identifiant dans l’une des œuvres majeures de son catalogue, Autant en emporte le vent, une mise en scène trompeuse de la condition des esclaves qui, si elle n’avait pas choqué l’opinion au moment de sa sortie au cinéma et pendant de longues années, mérite aujourd’hui réflexion à la lumière des événements et, dans le cadre d’une diffusion grand public sur des plate-formes de streaming comme HBO max ou lors de projections publiques, un effort de contextualisation qui ne se limiterait pas à un simple message de quelques lignes, mais un authentique cours d’Histoire, sous la forme d’un avant-programme rédigé et filmé par un historien de premier plan.

C’est le Washington Post, qui le dit, en s’appuyant sur une source anonyme mais visiblement bien informée, le film pourrait ainsi revenir très rapidement sur la plateforme HBO, d’ici une semaine, dans sa version restaurée et accompagnée de cet avant-programme fondamental et particulièrement soigné. Voir source ici.

Un signal fort et respectueux de tous

Au fond, c’est une manière pour la firme américaine de montrer qu’il ne s’agit pas d’un simple placebo ou d’un effet de manche, mais bien d’un réel effort résultant d’une prise de conscience et d’un désir de participer au progrès social. On ne pourrait pas l’accuser de faire du cosmétique tout en permettant la conservation d’une rhétorique révisionniste des heures sombres de l’Histoire américaine.

Le temps de réaliser cet avant-programme ambitieux, la firme américaine a préféré retirer provisoirement le film de sa plate-forme HBO max et demandé au Grand Rex d’annuler la projection prévue le 23 juin 2020. Comme il ne s’agissait ni d’un anniversaire, ni d’un événement majeur qui nécessite la diffusion expresse de ce film en particulier, la précaution et la prévenance ont semblé s’imposer.

Et soudain, la polémique

Et curieusement, au lieu de saluer l’initiative du producteur, dont l’intention pouvait paraître évidente dans un contexte difficile, de nombreuses réactions d’une rare véhémence se sont faites entendre sur les réseaux sociaux de la part du public, mais également de distributeurs concurrents, de personnalités, jusqu’au ministre de la Culture français, tous désaprouvant une forme de censure ou fustigeant un apparent manque de courage des responsables de la salle de cinéma, qui aurait dû selon eux s’opposer à la requête du producteur détenteur des droits de diffusion, sous couvert d’incompréhension et d’indignation générale. Ces réactions mettant ainsi directement ou indirectement en doute le bien fondé de la démarche du producteur, pourtant légitime et censée, allant jusqu’à s’ingérer dans le travail des équipes du Grand Rex.

On peut se demander quelle aurait été la réaction des mêmes contestataires ou d’autres, si la diffusion avait été maintenue avec peut-être un carton introductif succint et peu adroit (car réalisé dans l’urgence), prévenant tant bien que mal du possible malaise à venir lors de la projection du fait d’une vision désuette et douteuse de la condition des esclaves dans la société américaine de l’époque.

Je ne comprends pas, donc je proteste

Que fallait-il privilégier pour la Warner? Le coup de massue du fait de la déprogrammation, ou le retour de bâton suite au maintien de cette projection?

Est-ce qu’il faut en vouloir à un producteur d’avoir été trop prudent, au mépris de l’œuvre elle-même? Une œuvre dont la firme n’a jamais contesté la légitimité et qui, soit dit en passant, n’est pas censurée ad vitam, mais bien retirée provisoirement du marché le temps de trouver la bonne manière de la présenter au public d’aujourd’hui, sans rester dans une forme de propagande qu’on ne saurait perpétuer en l’état.

Boycott du Grand Rex?

Quant aux appels au boycott du Grand Rex, pour manque de courage, il est important de se demander qui peut prétendre savoir quelle est la nature des rapports entre le cinéma et la Warner, si marge de manœuvre il y a réellement, si c’est possible de « s’opposer » à la volonté d’un producteur, et si c’est souhaitable. Au nom de quoi?

À partir du moment où un partenaire de longue date fait confiance à la firme américaine, de quel droit faudrait-il rompre cette confiance, feindre de ne pas comprendre les motivations de cette annulation, pour maintenir coûte que coûte une projection que le producteur ne souhaite pas en l’état? Si un cinéaste demande au cinéma de reporter une projection pour peaufiner son œuvre ou privilégier un moment plus stratégique, est-ce que le cinéma s’y opposerait?

Dans leur colère, certains internautes ont cru bon de privilégier un aspect qui leur semble prioritaire sur celui que défendent conjointement le producteur et le cinéma, n’hésitant pas à préter des intentions douteuses et se permettant de comparer cette annulation à des événements graves de l’Histoire de l’humanité, comme la destruction massive et systématique de livres sous le régime nazi en Allemagne avant la seconde guerre mondiale (!). Une habitude sur les réseaux sociaux, où les gens s’expriment souvent sans retenue aucune.

Un problème de timing et de choix

Le problème de fond, dans cette polémique, c’est qu’il fallait agir vite. La Warner a donc tranché. Et c’est ce qu’on lui reproche. De nombreux internautes proposent de nombreuses solutions différentes, mais il n’y avait qu’une décision possible dans le temps imparti. Et c’est plus simple d’annuler une projection, somme toute pas vitale, plutôt que de la maintenir en permettant à un mauvais message d’être diffusé, ou pire, de permettre qu’il soit diffusé maladroitement, sans être correctement accompagné.

Do the right thing

On reproche à Warner d’avoir agi, alors qu’on aurait pu reprocher à la firme son immobilisme si elle n’était pas intervenue. On lui reproche sa brutalité et sa censure, alors que le producteur fait preuve de retenue et de prévenance envers le grand public. Il n’y a donc pas de bonne solution à ce problème, qui n’est pas si grave. En tous cas, pas aussi grave que les gens veulent bien le laisser croire, pour justifier leur colère. Le producteur a donc choisi de laisser passer l’orage, préférant ne pas communiquer du tout afin d’éviter de remettre de l’huile sur le feu. Le problème, c’est que l’incendie était malheureusement déclaré et déjà très vigoureux.

De la communication à l’heure des réseaux sociaux

Ce qui a provoqué le tollé, au fond, c’est le mutisme du Grand Rex et de la Warner pendant cette séquence. Pensant ne pas mettre le feu aux poudres en annonçant aussi succintement une annulation probablement considérée comme anecdotique dans le contexte actuel, vu la gravité des événements et la profondeur des mouvements dans le monde entier, le cinéma et le producteur n’ont pas mesuré le pouvoir de révolte et d’amplification des réseaux sociaux, et ne pouvait se douter qu’un ministre irait de sa critique, se joignant au cortège improvisé sur la toile. On ne parle pourtant pas d’une annulation abusive de Malcolm X pour censure, mais d’une tentative de défense de la bonne cause. Si la Warner a manqué de pédagogie en l’absence de réelle communication, elle s’incrit bien dans le sens de l’Histoire et ses intentions sont légitimes.

Censure ou pas censure?

Dans le cas de Autant en emporte le vent, il ne s’agit pas de censure, puisque le film reste disponible à la vente et à la location un peu partout, bénéficiant d’ailleurs d’un regain de popularité suite aux annonces de disparition du catalogue HBO, dont on a pu croire qu’elle serait définitive. Il n’est pas question de faire disparaître ces œuvres, mais d’en expliquer les éléments dont on comprend aujourd’hui qu’ils n’ont pas été correctement restitués à l’écran. Il n’est pas question non plus de modifier le film lui-même, fort heureusement. Après tout, ces défauts gravés sur pellicule sont autant de témoignages d’une certaine mentalité, d’une certaine culture, et sont très utiles dès lors qu’on les interprète correctement. Autant en emporte le vent ne sera donc pas censuré, mais contextualisé par des experts.

Étrange défiance… profitable

En réaction à cette apparente disparition de l’œuvre, de nombreux amateurs se sont rués sur le film sous toutes les formes disponibles (DVD, VOD…), certains allant jusqu’à réinvestir les réseaux sociaux pour afficher leur défiance à la « censure » (toujours pas avérée), comme un acte symbolique de résistance face au diktat du géant hollywodien… en augmentant brutalement ses ventes. Alors que la protestation se fait généralement par une manœuvre punitive comme un boycott des produits de la firme, afin de réduire la rémunération d’une entreprise jugée fautive, c’est une nouvelle forme de protestation rémunératrice qui a ainsi vu le jour. En effet, Warner étant détenteur des droits du film sous toutes ses formes, la séquence aura donc été très profitable au studio.


Infos pratiques
Le Grand Rex – 1, boulevard poissonnière – 75002 Paris
Parking REX ATRIUM – 5/7 rue du faubourg Poissonnière – 75009 Paris
Métro BONNE NOUVELLE – Lignes 8 et 9

OncleGil