Hannibal Lecter, son hymne et ses séquelles

Jodie Foster dans Le silence des agneaux (1991)

Dans le cinéma moderne, deux films ont magistralement illustré la notion de tueur en série, faisant date à la fois pour la qualité et l’originalité de leur production, l’émergence de grand(e)s interprètes et l’impact phénoménal d’un genre méconnu et réservé à un public averti au moment de leur sortie: Le silence des agneaux (de Jonathan Demme, 1h58, 1991) et Se7en (de David Fincher, 2h10, 1996). Si Fincher a réussi à clore son chef d’œuvre définitivement (aucune suite à ce jour), le personnage fascinant d’Hannibal Lecter, déjà à l’œuvre dans un précédent film (de Michael Mann, 1h58, 1987) a inspiré trois nouveaux films et une série télévisée. Une œuvre pour le moins hétérogène. Si les projets n’ont pas toujours la saveur du chef d’œuvre initial, ils ont tous de grandes qualités et ont réussi à perpétuer le mythe en suivant scrupuleusement l’inspiration de son auteur, Thomas Harris, tout bénéficiant de l’assiduité exceptionnelle de son interprète légendaire, Anthony Hopkins (présent dans 3 films), dont l’aura a laissé une trace indélébile sur le personnage. Si la série est introuvable aujourd’hui, plusieurs films sont disponibles sur les diverses plate-formes comme Netflix et Amazon Prime Video, en DVD/Blu-Ray et en VOD. Récapitulons.

Un livre, un film

La sortie des films suit scrupuleusement la publication des livres à succès de Thomas Harris. C’est pourquoi il y a une telle attente entre le premier film et le second au cinéma, malgré un succès colossal. Le premier livre racontant l’histoire d’Hannibal Lecter, Dragon rouge, est paru en novembre 1981 et n’a été adapté au cinéma qu’en 1986. Mais le succès immense du deuxième ouvrage, Le silence des agneaux (publié en 1988), a donné lieu à une adaptation à peine trois ans après (sortie du film en avril 1991), il n’a fallu que deux ans pour l’adaptation du troisième livre, Hannibal (publié en 1999 et sorti au cinéma en 2001) et un an pour l’adaptation d’Hannibal Rising (Hannibal Lecter: les origines du mal), publié en 2006 et adapté au cinéma en 2007. Avec en prime, une nouvelle version de Dragon rouge en 2002, permettant à Anthony Hopkins de boucler son œuvre.

La collection Hannibal Lecter, signée Thomas Harris

Manhunter – le sixième sens (1987)

Réalisé par Michael Mann (1h58, 1987). Avec William L. Petersen, Kim Greist, Joan Allen, Brian Cox, Dennis Farina, Stephen Lang, Tom Noonan.

Brian Cox dans Manhunter (1987)

Adapté de Dragon rouge, deuxième roman de Thomas Harris et première apparition littéraire d’Hannibal Lecter, Manhunter (Le sixième sens) est la première incarnation du personnage au cinéma, sous les traits de Brian Cox. Réalisé par Michael Mann avec un casting pourtant remarquable, le film souffre cependant d’une production minimaliste, avec des décors vides et une photographie plate. Son exploitation en salles est un échec retentissant ($8 millions de recettes pour un budget de $15 millions) et l’expérience traumatise aussi bien les producteurs, qui ne voudront même pas lire le livre suivant, Le silence des agneaux, et encore moins produire son adaptation au cinéma, que l’auteur lui-même, Thomas Harris, mettra deux ans à oser regarder. Une interprétation peut-être romancée de cette distance de l’auteur par rapport au cinéma, voudrait qu’il garde un point de vue personnel sur son œuvre, souhaitant ne pas être influencé par l’incarnation de son personnage à l’écran lorsqu’il écrit un nouveau livre.

S’il vit toujours dans l’ombre de son illustre successeur, partageant également un titre français avec un autre grand succès du cinéma (Sixième sens, de M. Night Shyamalan), le Manhunter de Michael Mann jouit aujourd’hui d’une deuxième vie auprès des cinéphiles, le réalisateur ayant accompli une brillante carrière au cinéma (Heat, Collateral, Miami Vice, Public Enemies…). Manhunter est donc reconnu à sa juste valeur, enfin, et il est disponible sous diverses formes, notamment en VOD – il est également diffusé en France sur OCS.

Le silence des agneaux (1991)

Réalisé par Jonathan Demme (1h58, 1991). Avec Anthony Hopkins, Jodie Foster, Scott Glenn, Ted Levine, Anthony Heald.

Anthony Hopkins dans Le silence des agneaux (1991)

Alors que Dino de Laurentiis possède les droits d’adaptation du personnage d’Hannibal Lecter au cinéma, après la mauvaise expérience du premier film, le producteur ne souhaite pas produire ce film-là et laisse grâcieusement l’honneur à Orion Pictures, qui réalise un carton. En donnant à Hannibal Lecter toute sa dimension dramatique et spectaculaire, Jonathan Demme réalise une adaptation parfaite du roman, qui impressionne le grand public et entre dans la légende, le rare film de genre qui fait l’unanimité en approchant un univers glauque et torturé avec des ambiances pesantes et une vraie expérience d’épouvante, un thriller saisissant brillamment accompagné par des thèmes originaux signés Howard Shore (Seven, Les Seigneur des anneaux, Gangs of New York…). Malgré quelques scènes choquantes, c’est un grand succès à la fois critique et public. Commercialement, c’est un succès inespéré (plus de $272 millions de recettes pour un budget initial de $19 millions). Et c’est seulement le troisième film de l’histoire des Oscars à remporter la quinte majeure (big five) en 1992: meilleur film, meilleur réalisateur, meilleur scénario adapté, meilleur acteur (Anthony Hopkins), meilleure actrice (Jodie Foster).

Jodie Foster dans Le silence des agneaux (1991)

Succès unique dans l’Histoire du cinéma, Le silence des agneaux est le rare film de genre à s’être imposé au grand public dans la monde entier. On a ainsi découvert de manière définitive la notion de tueur en série, un univers à part entière entre thriller et action, où l’horreur prend des formes diverses. Outre les actes d’une violence extrême et d’une sophistication inédite, le parcours du psychopathe dans un milieu carcéral adapté, la méthode d’investigation consistant à interroger un tel détenu qui devient collaborateur en échange de compromis, est une nouveauté troublante pour les spectateurs. Personnage central d’une enquête angoissante et haletante, Hannibal Lecter est un animal en cage à l’affût de la moindre opportunité pour poursuivre une existence tourmentée, retrouver l’ascendant à défaut de la liberté, exerçant une forme de pouvoir malgré l’isolement. Cette thématique sera reprise au cinéma dans Se7en (de David Fincher, 1996, 2h10) puis Copycat (de Jon Amiel, 1996, 2h04). L’appréhension méthodique et l’étude de la psychologie des individus dangereux, également abordée dans Copycat, sera explorée dans la série Mindhunter (de Joe Penhall, 2017, deux saisons, 19 épisodes de 50 minutes, en cours). Le thème de la transformation, symbolisée par le papillon présent sur l’affiche (le sphinx à tête de mort), qui motive Buffalo Bill (le tueur en activité, traqué par le FBI), se retrouve dans le désir de renaissance de Lecter, qui attend patiemment un éventuel retour à la liberté en collaborant depuis sa cellule avec la jeune stagiaire du FBI, elle-même en pleine mutation. La qualité d’interprétation de Jodie Foster et d’Anthony Hopkins, mais également la présence folle de Ted Levine (devenu par la suite le capitaine Stottlemeyer dans la série Monk), donnent vie à un récit dense, surprenant, novateur, passionnant. Une grande réussite.

Hannibal (2001)

Réalisé par Ridley Scott (2h05, février 2001). Avec Anthony Hopkins, Julianne Moore, Gary Oldman.

À la lecture du nouveau livre de Thomas Harris, le réalisateur Jonathan Demme et le scénariste Ted Tally, responsables du succès du Silence des agneaux, décident de ne pas participer à son adaptation au cinéma. Après de longues négociations, Jodie Foster décline également l’invitation, se faisant remplacer par Julianne Moore. Seul Anthony Hopkins accepte de poursuivre l’aventure. Pratiquement toute l’équipe couronnée de 4 des 5 Oscars en 1992 est donc effectivement remerciée. Et c’est Ridley Scott, à peine sorti de Gladiator, qui est approché pour réaliser l’une des suites les plus attendues au cinéma. La musique est composée par son acolyte de toujours, Hans Zimmer, avec des morceaux additionnels de Steve Jablonski.

La rupture avec Le silence des agneaux est inévitable. Après une ellipse de quelques années, ce second volet explore une relation à distance entre Lecter, fugitif installé à Florence, et Clarice Starling, agent confirmé qui poursuit sa carrière au FBI. Déjà activement recherché, le docteur finit par se faire rattrapper par un agent local zélé (Giancarlo Giannini) et un ancien patient fortuné animé par la vengeance (Gary Oldman). Tourné dans des lieux prestigieux comme le Palazzo Vecchio et le Duomo, c’est un film magnifique qui a le mérite d’étoffer le personnage de Lecter, sans toutefois rivaliser avec Le silence des agneaux. C’est donc malgré tout une certaine déception, à laquelle l’acteur regrette d’avoir participé.

Dragon rouge (2002)

Réalisé par Brett Ratner (2h04, octobre 2002). Avec Anthony Hopkins, Edward Norton, Ralph Fiennes, Harvey Keitel, Emily Watson, Philip Seymour Hoffman.

Ralph Fiennes dans Dragon rouge (2002)

S’il faut bien reconnaître une qualité à Brett Ratner, c’est son flair. En revisitant le premier volume des aventures d’Hannibal le cannibale, avec un casting de premier plan et un budget colossal ($78 millions), le réalisateur s’offre une pièce de choix. Non seulement il met en scène la capture de Lecter, mais également la montée en puissance d’un autre génie du mal, incarné par Voldemort lui-même – Ralph Fiennes (il fera son entrée, trois ans plus tard, dans Harry Potter et La coupe de feu, quatrième volet de la série). Edward Norton trouve ici un rôle à la mesure de sa réputation, puisqu’il incarne le seul agent ayant connu Hannibal Lecter aussi bien en liberté que derrière les barreaux. On retrouve ainsi un rapport similaire à la relation du docteur avec l’agent Starling dans le premier film. Au bout du compte, à part quelques facilités, le film tient remarquablement ses promesses, avec une construction habile et quelques belles surprises. Pour un énième film dans le même univers, c’est assez fort. On le sait maintenant, aucun film ne parviendra à dépasser le succès de l’original – mais était-ce jamais l’objectif de la production? Reste des films

Hannibal Lecter : Les origines du mal (2007)

Réalisé par Peter Webber (1h55, 2007). Avec Gaspard Ulliel, Gong Li, Rhys Ifans, Dominic West.

Gaspard Ulliel dans Hannibal Lecter: les origines du mal (2007)

Alors que l’on pensait le sujet totalement épuisé et la carrière cinématographique d’Hannibal Lecter terminée, l’auteur a écrit un ultime livre retraçant la jeunesse de son personnage. Il porte un regard bienveillant et curieux sur quelqu’un qui, avant de devenir le psychopathe le plus célèbre au monde, était peur-être un garçon comme les autres. En posant donc la question du déclenchement à la fois de la rage, mais aussi de la voracité inhumaine, l’auteur ouvre un chapître terrifiant de l’histoire de Lecter, où il n’a plus l’exclusivité de la cruauté. Alors qu’il a l’ascendant dans la plupart des situations dans les trois premiers films, on découvre un Lecter fragile, pas encore totalement affûté et affirmé.

Pour l’adaptation au cinéma, les producteurs voient grand, en allouant un budget important au projet ($50 millions). Le sujet est alléchant. Il y a matière. S’agissant d’une origin story, a priori un one-shot, le risque est minime. Mais il est difficile d’imaginer un Hannibal Lecter sans Anthony Hopkins, les spectateurs réservent donc un accueil mitigé au film lors de sa sortie en salles ($82 millions de recettes dans le monde entier, dont seulement 27 aux États-Unis). C’est Gaspard Ulliel qui hérite du rôle-titre, une partition fabuleuse au milieu d’un casting magistral – on redécouvre notamment Rhys Ifans dans une performance remarquable, trait d’union entre Coup de foudre à Notting Hill (1999) et The Amazing Spiderman (2012); Lecter rencontre une femme (Gong Li), un inspecteur de police (Dominic West) et une bande de criminels de guerre (Kevin McKidd, Richard Brake, Stephen Walters et Ivan Marevich). Un thriller captivant, subtil et ambitieux dans un cadre qui n’a rien à voir avec les films précédents – avant de s’installer à Baltimore aux États-Unis (Dragon Rouge), puis de refaire sa vie en Italie (Hannibal), Lecter a passé son enfance en Lituanie. Une enfance perturbée par la Seconde Guerre mondiale…


Mads Mikkelsen dans Hannibal, la série (2013-2015)
Hannibal – la série (2013-2015)

Développée par Bryan Fuller pour la chaîne américaine NBC, la série Hannibal compte 39 épisodes de 43 minutes (3 saisons de 13 épisodes chacune). Le docteur Hannibal Lecter est incarné par Mads Mikkelsen, Will Graham par Hugh Dancy. Avec également Laurence Fishburne et Gillian Anderson.

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