Une pluie sans fin, une enquête signée Dong Yue

Yu Guowei n’est ni détective, ni même policier. Il est chef de la sécurité d’une usine chinoise, dans un pays en proie à de grands changements sociaux, avec la prochaine rétrocession de Hong-Kong. Son obsession? Un tueur en série qui rôde dans le secteur, une enquête qui n’avance pas, des gens résignés à un sort modeste dans une ambiance glauque, sous une pluie continuelle. Perdu dans l’immensité chinoise, il se sent investi d’une mission impossible, une enquête difficile qui ne devrait pas le concerner, mais qui va marquer sa vie. Dong Yue réussit dès son premier essai un film policier intrigant avec une dimension sociale et historique impressionnante. Un témoignage double, d’après une affaire criminelle bien réelle qui a marqué sa jeunesse, mais également à la mémoire d’une frange ouvrière de la société chinoise tombée dans l’oubli à la fin du millénaire.

À la fois graphiquement et moralement, Une pluie sans fin nous plonge dans les zones grises. La réalité n’est ni noire, ni blanche, c’est une infinité de nuances intermédiaires. Censé assurer la sécurité, le héros se sent en échec, il se mêle de plus en plus de ce qui ne le regarde pas. Il n’est pas enquêteur, mais se sent obligé de mener à bien une mission qui échappe à d’autres, ceux qui se contentent de rester dans leur case, tant bien que mal. Héros malgré lui, il vit un long sacerdoce dans un environnement pas franchement hostile, mais rarement réconfortant.

Grand prix du Festival du film policier de Beaune, le film a été tourné dans la province de Hunan, ancien site industriel majeur du sud de la Chine avant la fermeture de nombreuses usines à la fin des années 90. L’ambiance pesante et monochrome est à l’image de la vie de l’époque, dans des lieux sans vie, véritables labyrinthes où l’humain est retenu et manipulé comme un objet au nom d’un effort industriel acharné et machinal. On peut même se demander si en assurant la sécurité du site, le héros ne protège pas seulement des ouvriers, de simples outils de travail, et non des vies. Une activité désespérante, au fond, qui explique peut-être son besoin de se réaliser autrement, notamment en élucidant un authentique mystère…

Un film étonnant, où l’on voit évoluer un personnage torturé, qui tente le tout pour le tout, parvenant à dépasser sa condition, tout en étant souvent ramené sur terre. Un destin compliqué, une affaire captivante, des images étonnantes d’une Chine oubliée, dans une ambiance qui rappelle celle d’un classique du cinéma, pour ses décors ternes, sa météo et les tons désaturés, le Se7en de David Fincher.

Déjà primé pour la prestation de son acteur principal, Duan Yihong (Meilleur Acteur au Tokyo International Film Festival pour ce film en 2017), mais également reconnu en tant que jeune réalisateur (Best New Director à la 12ème édition des Asian Film Awards à Macau, le 17 mars 2018), Dong Yue entame sa carrière de manière spectaculaire. C’est un réalisateur très ému qui a présenté son film en avant-première au cinéma UGC Les Halles, à Paris, le jeudi 14 juin 2018 – et qui a d’ores et déjà reçu une invitation pour son prochain film.


Une pluie sans fin, de Dong Yue (The looming storm / Bao xue jiang zhi, 2018, 1h24). Avec Duan Yihong, Jiang Yiyan, Du Yuan, Zheng Wei, Zheng Chuyi, Zhang Lin, Liu Tao et Chen Gang. Un film produit par Hehe Pictures (Shanghai), distribué en France par Wild Bunch Distribution. Sortie au cinéma le 25 juillet 2018. Crédits photos: Wild Bunch Distribution – Tous droits réservés.

OncleGil